(Québec) Malgré le virage promis par le gouvernement Legault vers le soutien à domicile, la réponse du réseau de la santé aux besoins des Québécois demeure « faible », ce qui « accroît significativement le risque » pour les personnes en perte d’autonomie d’être admis en CHSLD, constate la commissaire à la santé et au bien-être.

Les services de soutien à domicile présentent « des résultats préoccupants » dans l’ensemble du Québec et la majorité des territoires, conclut la commissaire Johanne Castonguay dans le deuxième volet de son enquête sur la performance des programmes gouvernementaux de soins à domicile.

Malgré des investissements significatifs du gouvernement Legault, la commissaire note que le niveau de ressources consenties pour les services de soutien à domicile au Québec demeure néanmoins « parmi les plus faibles au Canada ». La part des dépenses en soins à domicile par rapport à l’ensemble des dépenses en santé « est demeurée modeste » depuis les dernières années passant de 4 % en 2003 à 4,8 % en 2021-2022.

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Joanne Castonguay

« Le Québec se démarque défavorablement dans l’arrimage aux soins des usagers et des proches aidants », souligne Mme Castonguay dans son rapport de quelque 130 pages. Point positif : « Le Québec fait meilleure figure dans l’accessibilité en temps opportun aux services, dans leur coordination, dans leur efficacité à contribuer au maintien à domicile ainsi que dans la satisfaction des usagers », écrit-elle.

Les plus vulnérables

L’enquête de la commissaire permet de révéler que le taux de réponse du système aux besoins de services à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie ou atteintes de déficience physique est « très faible », alors que 13,5 % des heures requises pour répondre aux besoins ont été fournies à ces clientèles.

« Dès lors, les risques de détérioration de l’état de santé physique et mentale des usagers augmentent et la probabilité́ d’être admis en CHSLD s’accroît », écrit Mme Castonguay.

Le rapport fait aussi état qu’au Québec, les personnes âgées de 65 ans et plus, décédées en 2019-2020, ont passé 66 % de leurs six derniers mois de vie à domicile. « Elles ont donc passé en moyenne 62 jours en institutions », note la commissaire. De ces mêmes personnes, 17 % seulement sont décédés à domicile.

« Le pourcentage de jours vécus à domicile durant les six derniers mois de vie n’est pas associé aux dépenses et aux mesures fiscales » des services offerts, souligne Mme Castonguay.

Ceci suggère que l’effort financier actuel n’arrive pas à assurer un maintien à domicile au moment où cela compte pour les personnes.

Joanne Castonguay, commissaire à la santé et au bien-être

En outre, ces statistiques sont encore moins encourageantes chez les personnes de plus de 85 ans, chez les femmes et chez les personnes « très défavorisées sur les plans matériel et social ». Encore à ce niveau, d’autres juridictions comparables au Québec atteignent de meilleurs résultats.

« Un constat clair sort de nos analyses : les services de soutien à domicile au Québec doivent être améliorés pour permettre aux personnes qui le souhaitent de demeurer chez soi le plus longtemps possible », affirme la commissaire dans une déclaration.

Malgré une augmentation des ressources financières au cours des dernières années, peu d’usagers reçoivent les soins et les services dont ils ont réellement besoin. Augmenter les budgets sans revoir l’organisation des services semble donc avoir un impact limité.

Joanne Castonguay, commissaire à la santé et au bien-être

La ministre déléguée à la Santé et responsable des Aînés, Sonia Bélanger, a indiqué avoir eu le rapport de Mme Castonguay lundi. « J’ai eu le document hier, je n’ai pas eu le temps de lire au complet […] je vais examiner ce rapport-là. Pour moi ces rapports sont souvent des leviers d’amélioration », a-t-elle brièvement commenté mardi. Des rencontres auront lieu avec la commissaire comme lors du dépôt du tome un.

Mme Castonguay a reçu en mars 2022 le mandat du gouvernement Legault de passer au crible l’offre de soins à domicile au Québec. Un premier tome a été présenté en mars dans lequel la commissaire identifiait un « écosytème complexe » de programmes qui ne permet pas d’atteindre les cibles fixées par Québec.

Dans ce premier volet, elle indiquait que le gouvernement est « conscient » des lacunes du système et qu’il démontre sa volonté d’y remédier en lui ayant confié ce mandat spécial. Les recommandations au gouvernement arriveront dans son rapport final (le quatrième tome) qui sera déposé en décembre 2023.

Besoins à la hausse

Le nombre de personnes en attente d’un premier service de soutien à domicile ne cesse d’augmenter depuis la pandémie. En date du 31 mars, ce sont plus de 20 000 Québécois qui étaient inscrits sur une liste d’attente, selon le tableau de bord du ministère de la Santé et des Services sociaux.

Après analyse des données disponibles, la commissaire estime que le nombre de Québécois ayant besoin d’aide à domicile pour réaliser des activités de la vie quotidienne est entre 400 000 et 530 000.

Ces besoins varient d’une région à l’autre et seraient moins grands à Montréal et plus élevés au Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie-Île-de-la-Madeleine.

Par ailleurs, devant le peu de données disponibles, l’équipe de recherche de la commissaire développera un nouveau modèle « à portée régionale » pour les populations de 18 ans, ce qui permettra d’estimer « de façon plus précise » les besoins en soutien à domicile pour l’ensemble de la population.

En début de deuxième mandat, François Legault a promis d’opérer « une vraie révolution » en matière de soins à domicile. Dans son premier mandat, le gouvernement Legault a investi 2 milliards additionnels dans son virage vers les soins à domicile. Le dernier budget Girard prévoit de nouvelles sommes de 103 millions dès cette année pour 963,5 millions d’argent frais d’ici cinq ans.