Victime en avril d’une chute dans la résidence pour aînés où elle habitait depuis peu à Montréal, Marie-Josée Beaudoin a déjà subi quatre déménagements depuis. Et la dame de 91 ans pourrait en vivre deux autres dans les prochains mois. Une situation « inacceptable », selon ses proches.

« C’est tout simplement inhumain », affirme sa fille Brigitte Stanké.

Mme Beaudoin, ex-femme de l’éditeur Alain Stanké, est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle habitait jusqu’en avril dans une résidence privée pour personnes âgées autonomes. Mais voyant son état de santé décliner, ses quatre enfants ont convenu de la réinstaller à la résidence Héritage Plateau, rue Rachel Est. Cet établissement de 120 places accueille des aînés « semi-autonomes », une « clientèle avec des besoins importants » et ayant besoin de « soins modérés à sévères », selon le registre des résidences privées pour aînés du Québec. Les enfants Stanké croyaient donc qu’en optant pour cet établissement, ils n’auraient pas à faire subir un déménagement à leur mère avant longtemps.

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Claudie Stanké, Brigitte Stanké et leur mère, Marie-Josée Beaudoin

Et ça tombait bien, car Mme Beaudoin s’est rapidement plu dans son nouveau petit studio de deux pièces et demie abondamment fenestré. La dame, qui a été artiste peintre, a pu suspendre certaines de ses œuvres aux murs. Mais à peine dix jours après son arrivée, elle a été victime d’une chute et a subi une importante commotion cérébrale. « Elle a été hospitalisée au CHUM. Puis elle est allée en centre de réadaptation », relate Brigitte Stanké. Elle y passera en tout plus de deux mois et demi.

Une évaluation contestée

Peu avant la sortie de Mme Beaudoin du centre de réadaptation, début juillet, les enfants Stanké apprennent que la résidence Héritage Plateau ne reprendra pas leur mère. « Après avoir été hospitalisée, la condition de santé de madame Beaudoin s’est détériorée de telle façon que nous ne pouvons plus prodiguer les soins dont elle a maintenant besoin », a indiqué à La Presse Jean-François Daudin, président et chef de la direction d’Horizon Gestion de résidences, qui gère la résidence Héritage Plateau.

Ce dernier explique qu’un travailleur du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal a évalué les besoins de Mme Beaudoin.

Notre offre de service s’arrête à partir du moment où nos résidants nécessitent des soins plus spécialisés, qu’un CHSLD pourrait offrir, par exemple.

Jean-François Daudin, président et chef de la direction d’Horizon Gestion de résidences

Les enfants Stanké ne sont pas d’accord avec l’évaluation qu’on fait de leur mère. Car celle-ci, même si elle n’est pas toujours cohérente, parle encore très bien. Elle reconnaît encore ses enfants. Elle mange seule. Se déplace plutôt correctement. « Je peux même courir », lance la dame en rigolant avec la représentante de La Presse. « Ma mère va parler à qui en CHSLD ? », s’inquiète Brigitte Stanké.

Un vendredi du début de juillet, Brigitte Stanké a reçu un appel d’une travailleuse sociale lui indiquant qu’elle avait trois jours pour trouver un CHSLD pour sa mère. Elle a finalement obtenu, avec son frère et ses trois sœurs, un petit délai pour faire un choix. Mais leurs visites de CHSLD leur ont crevé le cœur. « Certains sont des mouroirs. Les gens ne font rien. Ne parlent pas. C’est déprimant. Ma mère n’est pas rendue à vivre en CHSLD. Mais on n’a comme pas le choix », déplore Brigitte Stanké, qui peine à retenir ses larmes.

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Brigitte Stanké

La seule autre option pour éviter le CHSLD serait d’installer Mme Beaudoin dans une résidence privée offrant plus de services. Mais la facture irait de 8000 $ à 10 000 $ par mois. Voire plus.

Pour libérer des lits

Mme Beaudoin a donc été placée sur une liste d’attente pour une place en CHSLD. La résidence Héritage Plateau a accepté de la reprendre le temps qu’une place soit trouvée. Mais pas plus de 21 jours. Durant ce délai, une surveillance est exercée par des employés du CLSC.

La première place qui sera offerte à Mme Beaudoin risque de ne pas être dans le CHSLD choisi par les Stanké, se sont-ils fait dire. Mais plutôt dans un CHSLD dit « transitoire » pouvant se trouver un peu partout sur le territoire.

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Nombre de personnes en attente de leur premier choix de CHSLD au CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Source : CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Mme Beaudoin y restera quelques semaines ou mois, le temps qu’une place se libère enfin dans le CHSLD de son choix. En tout, elle pourrait donc avoir déménagé six fois en quelques mois. « On dit souvent qu’un déménagement, ça fait partie des choses les plus stressantes qu’une personne peut vivre. Mais imaginez si vous avez l’alzheimer en plus », note sa fille Claudie Stanké.

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Claudie Stanké

Malgré ses pertes cognitives, Mme Beaudoin sait qu’elle doit quitter la résidence Héritage Plateau. « Elle peut nous demander 20 fois par jour quand elle doit déménager. Ça la stresse beaucoup », témoigne Brigitte Stanké. Celle-ci sait très bien que les hôpitaux et les centres de réadaptation sont occupés au maximum de leur capacité, souvent par des aînés en attente d’hébergement. Et donc que tout est fait pour libérer ces lits le plus rapidement possible. « Mais à quel prix pour les aînés ? », demande-t-elle.

Au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, on précise qu’une personne âgée hospitalisée qui doit être transférée en CHSLD doit obtenir une place en moins de sept jours, selon des orientations du ministère de la Santé et des Services sociaux. Toujours selon ces orientations, si cette personne retourne chez elle, ou en résidence pour aînés, et reçoit des soins de son CLSC le temps d’obtenir une place en CHSLD, il doit s’écouler un maximum de 21 jours.

« Oui, ça permet de libérer des lits rapidement. Mais ça fait aussi qu’on garroche des gens n’importe où, martèle Brigitte Stanké. Des gens fragiles. Ce n’est pas un meuble, ma mère. »

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    Nombre de personnes en attente d’une place en CHSLD au Québec en date du 17 juin 2023
    source : ministère de la santé et des services sociaux