(Québec) Les gestionnaires du réseau de la santé tirent la sonnette d’alarme : la transition pour abolir le recours aux agences de placement dans le réseau de la santé d’ici 2026 est « trop abrupte », risque de provoquer des ruptures de services et de « déstabiliser » les conditions de travail des employés.

Ce qu’il faut savoir

  • Le projet de loi 10 visant à éliminer le recours aux agences de placement de personnel dans le réseau de la santé d’ici 2026 a été adopté en février.
  • Un projet de règlement encadrant plusieurs dispositions de la loi, comme les échéances, les tarifs plafonds et les interdictions, a été publié le 26 juillet dans la Gazette officielle du Québec.
  • La période de consultation se termine le 15 août. C’est le Conseil des ministres qui édictera ensuite le règlement final.

L’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux (AGESSS) a lancé cette mise en garde au Ministère après la publication d’un projet de règlement qui vient dicter la marche à suivre pour sevrer le réseau des agences de placement, a appris La Presse.

Le projet de règlement, publié dans la Gazette officielle du Québec le 26 juillet, fixe la date limite de l’entrée en vigueur de l’interdiction pour tout établissement de santé de faire appel à du personnel d’agence. Le plan proposé par Québec est graduel en fonction des régions. Il va comme suit :

  • 20 octobre 2024 : Montréal, Laval, Montérégie, Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches
  • 19 octobre 2025 : Saguenay–Lac-Saint-Jean, Mauricie et Centre-du-Québec, Estrie, Lanaudière et Laurentides
  • 18 octobre 2026 : Bas-Saint-Laurent, Outaouais, Abitibi-Témiscamingue, Côte-Nord, Nord-du-Québec, Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et Nunavik

Bien qu’elle accueille favorablement la « différentiation des échéanciers par région », l’AGESSS s’attendait à ce que le projet de règlement propose un plan de retrait par étapes.

« Nous irions plus loin », écrit la présidente-directrice générale Danielle Girard, dans une lettre envoyée dans le cadre des consultations sur le projet de règlement.

L’association demande notamment à Québec de fixer des cibles limitant progressivement le nombre d’heures réalisées par du personnel d’agence plutôt que de « l’interdire intégralement à partir d’une date fixe et variable en fonction des régions ».

Dans une déclaration transmise à La Presse, Mme Girard indique que la transition actuelle est « trop abrupte » et craint ses effets.

Mme Girard n’était pas disponible pour une entrevue lundi.

« Éviter des bris de services »

L’AGESSS ne remet pas en question l’échéance ultime fixée à 2026, mais elle estime que sa proposition pourrait amoindrir les impacts des changements sur le personnel et les gestionnaires qui « subissent déjà de la pression et une surcharge de travail ».

Lors de son passage en commission parlementaire, en mars, l’association, qui représente quelque 8000 gestionnaires dans le réseau public, avait d’ailleurs recommandé au ministre de procéder à un « retrait très graduel » de la main-d’œuvre indépendante.

Elle réclamait une transition « par phases graduellement successives afin d’éviter des bris de services ».

Le cabinet du ministre Christian Dubé a indiqué lundi être « à l’écoute » des préoccupations soumises dans le processus de consultations réglementaires. On rappelle que « l’objectif est clair et demeure le même », soit « d’abolir le recours aux agences ».

« Nous allons appliquer le règlement de manière pragmatique et c’est justement pour cette raison que nous procédons de manière progressive : le règlement entrera en vigueur graduellement […] sur une période de trois ans », écrit le cabinet.

Des règles qui passent mal

Les Entreprises privées de personnels soignants du Québec (EPPSQ) et le Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA) ont également écrit au Ministère pour faire part de leurs critiques, a-t-on appris.

Au cœur des principaux griefs : le pouvoir discrétionnaire du ministre de la Santé qui pourra accorder « en raison de circonstances exceptionnelles » une autorisation permettant le recours à une agence de placement de personnel après les échéances fixées par règlement.

Cette interdiction s’accompagne de sanctions administratives et pécuniaires pour ceux qui y contreviendront.

L’EPPSQ déplore que le projet de règlement « ne prévoie aucune alternative au pouvoir discrétionnaire absolu au ministre » lorsqu’il autorisera le recours à une entreprise de placement au-delà des dates limites. Selon l’association, cela signifiera « le retour des contrats de gré à gré ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le président du regroupement des Entreprises privées de personnel soignant du Québec (EPPSQ), Patrice Lapointe

En fin de soirée lundi, le MSSS a confirmé à La Presse que « les modalités relatives aux situations d’exception feront l’objet d’un second règlement » et que « les travaux à cet effet sont présentement en cours ».

Reste qu’en l’absence d’encadrement, l’EPPSQ estime que « la méthode [prévue actuellement] est dépourvue de transparence et ouvre la porte à l’établissement d’un système de favoritisme ».

L’EPPSQ, qui se dit favorable à un meilleur encadrement des agences de placement, propose entre autres de mettre sur pied une liste de fournisseurs accrédités par le gouvernement « qui seraient les seuls à pouvoir répondre aux appels d’offres publics en matière de santé ».

Les RPA « déçues »

Dans une lettre envoyée au Ministère, le président-directeur général du RQRA, Marc Fortin, se dit « déçu globalement » du projet de règlement et réclame lui aussi des « mécanismes précis » quant aux « autorisations exceptionnelles de recourir aux agences ».

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

Le président du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA), Marc Fortin

Le RQRA déplore également « les effets indésirables » des taux horaires plafonds par profession définis dans le projet de règlement – il s’agit essentiellement des mêmes tarifs que ceux fixés par décret pendant la pandémie. Ces taux sont encore trop élevés pour les RPA.

On demande que Québec les abaisse de 20 % ou qu’il prévoie des exceptions pour les résidences. Le RQRA salue néanmoins le fait que le projet de règlement vienne interdire aux agences la facturation de frais accessoires.