(Québec) Une mesure phare du plan de rattrapage en chirurgie de Christian Dubé tarde à se concrétiser. Une cagnotte de 400 millions, qui doit permettre de payer des heures supplémentaires aux infirmières prêtes à mettre les bouchées doubles dans les blocs opératoires, dort dans les coffres de l’État, a appris La Presse.

En mai dernier, le ministre Dubé et le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), le DVincent Oliva, ont annoncé le déploiement d’un nouveau plan de rattrapage en chirurgie. Les efforts seront mis sur les opérations en attente depuis plus d’un an.

La cible ? Ramener la liste au niveau d’avant la pandémie, c’est-à-dire à quelque 2500 patients, au 31 décembre 2024. L’un des éléments clés du succès de l’opération : la disponibilité de la main-d’œuvre.

Québec a ainsi dévoilé qu’une somme de 400 millions serait distribuée aux établissements pour offrir des heures supplémentaires au personnel qui souhaite prêter main-forte dans les blocs opératoires. Les sommes proviennent de l’Institut de la pertinence des actes médicaux (IPAM).

Or, cinq mois après l’annonce, ces sommes se trouvent toujours dans les coffres de l’État québécois, a confirmé dans un courriel à La Presse le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

« On s’est engagé à faire une offre à notre personnel qu’on va devoir répéter », a admis M. Dubé en entrevue, lundi.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

Est-ce que ç’a été assez bien communiqué ? Je ne suis pas sûr, et pour être certain, j’ai demandé aux PDG pas plus tard que ce matin de le refaire.

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

Selon le ministre, « il est à peu près normal » que les sommes n’aient pas été dépensées jusqu’à présent en raison de la période des vacances, où les infirmières sont déjà beaucoup sollicitées.

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) n’a pas voulu commenter les informations de La Presse.

De son côté, la FMSQ indique qu’il est « regrettable, à l’heure de l’allongement des listes d’attente, que la mobilisation [des spécialistes] se heurte à l’incapacité du MSSS à mettre en œuvre les conditions requises pour le bon déploiement du plan » de rattrapage.

Le DOliva signait d’ailleurs il y a deux semaines une lettre ouverte dans La Presse affirmant que le plan de rattrapage en chirurgie « frappe un mur », puisque la main-d’œuvre n’est pas au rendez-vous.

Lisez le texte « Le plan de rattrapage frappe un mur »

Le taux d’activité dans les blocs opératoires est de 74 % en moyenne dans les hôpitaux du Québec.

« L’argent est disponible », assure Dubé

Le ministre de la Santé assure que « l’argent est disponible » pour les établissements de santé qui lèveront la main. Or, le MSSS explique plutôt qu’un comité formé pour assurer la distribution des sommes dans le réseau n’a pas encore terminé ses travaux.

« Les montants permettront la rémunération du personnel du réseau qui contribuera au blitz de rattrapage et la réalisation des projets émergents approuvés par le comité directeur » composé de l’IPAM, du MSSS et de la FMSQ, souligne le Ministère, toujours par courriel.

Comme les discussions sont toujours en cours avec le comité, aucune somme du 400 millions n’a été dépensée en 2023-2024 pour couvrir la rémunération du personnel du réseau dans le cadre du rattrapage des chirurgies.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux, par courriel

Les « modalités de financement seront conclues » d’ici la fin du mois, assure-t-on. Il est prévu que les sommes soient distribuées dans les établissements en fonction de « leur quote-part de la réduction de la liste » des opérations en attente depuis plus d’un an. Chaque établissement dispose d’une cible à atteindre au 31 décembre 2024, ainsi que d’une cible intérimaire au 31 mars 2024.

En entrevue, le ministre Dubé attribue plutôt ces délais à une mauvaise communication de son « offre » à travers le réseau. Il réitère que les fonds sont prêts à être dépensés.

Le gouvernement Legault espère mobiliser les équipes cliniques pour effectuer, de manière volontaire, des interventions chirurgicales en plus des activités normales et lors de quarts défavorables.

Du progrès et des défis

Québec est parvenu au cours des derniers mois à diminuer la liste de patients en attente d’une intervention chirurgicale depuis plus d’un an. Il y en avait 17 512 au 31 mars 2023 alors qu’ils étaient 14 296 au plus récent bilan, publié le 9 septembre. Le ministre Dubé s’en réjouit.

« On est loin d’avoir frappé un mur […] parce que je suis en avance [sur mon volume d’interventions chirurgicales] comparé à l’année passée », a répliqué M. Dubé, faisant allusion à la lettre de la FMSQ. En effet, le cumul annuel atteint 177 889 opérations réalisées, ce qui est le plus fort volume pour la même période depuis 2020 – année du début de la pandémie.

Cependant, la hausse de nouvelles demandes d’opération vient assombrir le tableau. En date du 12 août, 158 427 patients étaient en attente de passer sous le bistouri au Québec. Un mois plus tard (9 septembre), ce sont 163 463 personnes qui se trouvaient en attente.

Lisez l’article « Rattrapage en chirurgie : la liste d’attente s’allonge de 5000 patients »

À ce jour, 25 millions ont été dépensés à même les budgets du MSSS pour la mise en œuvre de différentes mesures du plan de rattrapage, comme un meilleur accompagnement des établissements, des tournées régionales, l’achat d’équipements et la révision des trajectoires et de la planification des interventions chirurgicales.

Québec ne s’est pas fixé de cibles pour les opérations en général, choisissant de s’attaquer d’abord à la liste de plus d’un an. En juin 2021, M. Dubé s’était donné une série d’objectifs qui ont été abandonnés en raison des vagues subséquentes de la pandémie.

Patients en attente d’une opération depuis plus d’un an

  • Septembre 2022 : 22 197
  • Septembre 2023 : 14 296
  • Cible intérimaire au 31 mars 2024 : 7600
  • Cible finale au 31 décembre 2024 : 2500

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux

Qu’est-ce que l’IPAM ?

Découlant d’une entente entre Québec et la Fédération des médecins spécialistes du Québec, l’IPAM s’assure que les sommes investies par l’État pour la rémunération des médecins spécialistes soient utilisées « selon les meilleures pratiques » et voit au réinvestissement des économies dans le réseau.