Le Québec n’est « pas à l’abri d’un revers tragique » dans la crise des opioïdes, même si sa situation est moins alarmante que celle des autres provinces canadiennes, rappelle un nouveau rapport de l’Institut national de santé publique (INSPQ) paru mardi. L’organisme invite les autorités à tenir une « vigie à large spectre » sur le phénomène.

Le document dévoile les résultats d’une analyse coordonnée par l’INSPQ et les directions régionales de santé publique. Le tout a été mené auprès de plus d’un millier d’utilisateurs de drogues au Québec.

La recherche « a révélé la présence dans l’urine d’un opioïde chez 27 % des 655 participants de l’étude en 2021 et chez 24 % des 1068 participants en 2022 », lit-on dans le rapport.

Selon l’Institut, la situation « témoigne de l’ampleur de la consommation d’opioïdes chez certains utilisateurs de drogues » dans la province, ainsi que « l’impact des inégalités dans ce problème ».

Plusieurs tendances s’imposent, dont en premier lieu, une surreprésentation de la population itinérante parmi les individus ayant fait une surdose involontaire d’opioïdes dans les six derniers mois au Québec. L’INSPQ avance par ailleurs que les sans-abri sont « considérablement sous-représentés parmi les personnes possédant une trousse de naloxone, ce qui les rend nécessairement plus vulnérables à un décès par surdose d’opioïdes ».

Cinq morts par semaine

Selon les plus récentes données, le taux de mortalité par opioïdes « est moindre au Québec que la moyenne des provinces canadiennes », mais il augmente tout de même de façon constante. En fait, leur nombre a plus que triplé entre 2000 et 2020, passant d’un peu moins de 100 à plus de 300 durant cette période.

Dans les dernières années, la moyenne québécoise est d’environ « cinq décès par semaine directement attribuables aux opioïdes », soutient l’INSPQ. À Montréal, surtout, la situation s’aggrave avec le temps, selon plusieurs organismes et intervenants.

Côté hospitalisations, une hausse de leur nombre s’est clairement dégagée pour l’ensemble du Québec entre 2007 et 2016, note l’Institut, qui observe toutefois une « légère baisse » du phénomène entre 2017 et 2021.

À l’heure actuelle, on recense en moyenne une quinzaine d’hospitalisations liées aux opioïdes par semaine. Sur une base annuelle, cela représente entre 700 et 800 hospitalisations liées au phénomène, bon an, mal an, depuis plus de 10 ans déjà.

Tout indique néanmoins que la hausse s’accélère. D’après les plus récents chiffres de la Santé publique fédérale, l’Ontario est la province où le nombre de décès liés à une intoxication aux opioïdes est le plus élevé au Canada, avec environ 2500 en 2022. Toutes proportions gardées, cela donne toutefois un taux d’environ 16,6 décès par tranche de 100 000 habitants, ce qui est bon pour le quatrième rang derrière la Colombie-Britannique (44), l’Alberta (33) et la Saskatchewan (19,7).

Avec 541 décès liés à ce phénomène l’an dernier, le Québec est encore néanmoins loin derrière ce classement, avec un taux de 6,2 décès par tranche de 100 000 habitants.

Pourquoi le Québec fait-il mieux ?

De nombreux facteurs peuvent expliquer le fait que le Québec s’en sorte mieux qu’ailleurs, malgré l’accélération de la crise de santé publique. D’emblée, note l’INSPQ, « les médecins québécois prescriraient en général moins d’opioïdes, et lorsqu’ils le font, ils le feraient en quantités moins élevées ».

Le rapport fait également valoir que « les pratiques de marketing de l’industrie pharmaceutique sont mieux encadrées au Québec qu’elles le sont ailleurs au Canada et aux États-Unis ». « Ces campagnes se déroulent aussi majoritairement en anglais, ce qui pourrait empêcher ou retarder, dans certains cas, l’adoption de ces produits en contexte francophone », ajoute-t-on.

Il reste qu’il est crucial de poursuivre les efforts, maintient le groupe de chercheurs, qui rappelle que « déjà en 2019, des experts indiquaient que le Québec n’est effectivement pas à l’abri d’un revers tragique, étant donné qu’une déstabilisation du marché des drogues illicites […] pourrait avoir des répercussions négatives significatives sur la santé des utilisateurs ».

« Le contexte récent de la pandémie semble avoir validé ces craintes puisqu’une hausse des décès par surdose a été observée dans les mois suivant le début de celle-ci », renchérit le groupe de recherche.

« Nous sommes face à un phénomène durable en constante transformation, d’où l’importance d’une vigie à large spectre. Les opioïdes ne sont ni le premier médicament ni le dernier à entrer sur le marché des drogues. […] D’autres substances psychoactives feront leur apparition, d’autres reviendront », conclut l’Institut.