Des enquêtes ont été ouvertes après la mort de deux patients dans les urgences bondées de l’hôpital Anna-Laberge, à Châteauguay, la semaine dernière. Ces drames surviennent au moment où des médecins déplorent une détérioration dans les urgences du Grand Montréal, malgré la création de la cellule de crise du gouvernement Legault il y a un an.

Les deux patients sont arrivés aux urgences au cours de la semaine dernière, confirme le CISSS de la Montérégie-Ouest. L’un d’eux serait mort dans la salle d’attente, selon des informations recueillies par La Presse. Peu de détails circulent sur les circonstances du second décès.

Chose certaine, les urgences de l’hôpital Anna-Laberge étaient fort achalandées. Leur taux d’occupation dépassait les 200 % à certains moments la semaine dernière.

Le CISSS de la Montérégie-Ouest confirme que des enquêtes ont été ouvertes sur ces deux décès.

Après avoir été informé de la situation, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, s’est d’ailleurs personnellement rendu sur place dimanche pour y effectuer une visite surprise.

« Les faits rapportés sont extrêmement préoccupants. Nous avons une pensée pour les familles touchées », a fait valoir son cabinet lundi. « L’objectif était de prendre le pouls de ce qu’il se passe sur le terrain, mais aussi de discuter avec les intervenants sur place », a-t-on indiqué. Le Ministère doit faire le suivi pour que des « actions soient posées rapidement ».

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L’hôpital Anna-Laberge, à Châteauguay

« Nous prenons ces situations très au sérieux et allons collaborer pleinement aux enquêtes en cours », a écrit l’établissement, qui ne fera pas d’autres commentaires. Le CISSS de la Montérégie-Ouest précise qu’il compose présentement avec « une situation de fort achalandage » aux urgences et que le « temps d’attente est très élevé ».

La pression est forte sur les urgences de l’ouest de la Montérégie. Lundi, le taux d’achalandage s’élevait à 172 % à l’hôpital Anna-Laberge, à 169 % à l’hôpital du Suroît et à 180 % à l’hôpital Barrie-Memorial, selon le site Index Santé. Les trois hôpitaux étaient les plus occupés de toute la Montérégie.

Des rencontres ont d’ailleurs eu lieu avec le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et les autres CISSS de la Montérégie « pour trouver des avenues pour diminuer la pression », a indiqué le CISSS de la Montérégie-Ouest.

D’autres rencontres sont prévues en début de semaine. Tous les efforts sont déployés afin de réduire la pression sur les urgences, et ce, pour le bien-être des équipes et des patients. Jamais nous ne ferons de compromis sur la sécurité des patients.

Le CISSS de la Montérégie-Ouest

Le syndicat local affirme de son côté que les travailleurs de l’hôpital Anna-Laberge « ont des inquiétudes par rapport à la sécurité des patients ».

« Ils s’inquiètent principalement du fait qu’il manque des salles pour voir les patients aux urgences », illustre le président par intérim du Syndicat des professionnelles en soins de Montérégie-Ouest, Dominic Caisse.

Les étages de l’hôpital sont aussi très achalandés, si bien que les personnes vues aux urgences et qui doivent être hospitalisées séjournent trop longtemps aux urgences, avance-t-il. Lundi, 15 patients y séjournaient depuis plus de 48 heures et 26 depuis plus de 24 heures.

« Ça commence à nous faire peur »

Le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence, le DGilbert Boucher, admet que la situation dans les urgences « commence à faire peur » à ses membres. Lundi, M. Boucher indiquait avoir été informé qu’une enquête interne avait été déclenchée relativement à des décès dans un établissement du Grand Montréal, sans autre détail.

Dans une entrevue réalisée vendredi, le DBoucher faisait déjà part de ses craintes à La Presse.

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Le DGilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence

Ça fait deux semaines qu’il y a des hôpitaux qui sont dans le 200 %, et c’est dans ce temps-là, justement, qu’il y a des patients qui viennent dans les salles d’attente, qui ne sont pas vus et qui décèdent. C’est ça qu’on commence à entendre.

Le DGilbert Boucher, en entrevue vendredi dernier

Il donnait aussi en exemple des cas où le patient se présente avec une condition qui ne menace pas sa vie, mais qui, sans traitement, se retrouve « 12 heures plus tard » dans une situation critique ou même en meurt. Selon lui, « le pire travail au Québec en ce moment, c’est être une infirmière au triage » alors que les taux d’occupation explosent.

« On met les soignants dans des situations impossibles », ajoute celui qui est urgentologue à l’Institut de cardiologie de Montréal.

Le DBoucher rapporte que la situation est « de plus en plus stressante » pour les médecins d’urgence. « C’est la catastrophe tous les jours », illustre-t-il, soulignant que la vague d’influenza n’est même pas encore commencée. Pour l’heure, la circulation des virus respiratoires et les jours de grève dans le réseau de la santé rendent la situation dans les urgences « extrêmement difficile ». ⁠1

Pour un retour de la cellule de crise

L’urgentologue critique du même souffle le ministre de la Santé et des Services sociaux, qui a modifié le fonctionnement de la cellule de crise créée à la fin d’octobre, l’an dernier, pour trouver des solutions et désengorger les urgences. « C’était un vent de fraîcheur, les choses allaient quand même bien », relate celui qui en était membre.

Aujourd’hui, on est comme on était avant la cellule de crise. Ce sont les mêmes processus au niveau du Ministère, c’est malheureux.

Le DGilbert Boucher

Le DBoucher déplore que le Ministère ait « repris le contrôle » de la cellule au moment où le projet de loi 15 (réforme Dubé) a été déposé en mars dernier et que les médecins ont été « écartés ».

Taux d’occupation sur civière

27 novembre 2023 : 127,2 %

27 novembre 2022 : 121,4 %

Cible : 85 %

Durée moyenne d’un séjour sur civière

27 novembre 2023 : 19 h 11

27 novembre 2022 : 18 h 45

Cible : 14 h

Taux d’usagers ne requérant plus de soins à l’hôpital (NSA)

24 novembre 2023 : 13,72 %

24 novembre 2022 : 11,91 %

Cible : 8 %

Source : tableau de bord du MSSS

En octobre, le ministre Christian Dubé a nommé « un coordonnateur d’accès » à la première ligne qui a repris la mission de la cellule de crise. L’ex-PDG du CIUSSS de la Capitale-Nationale Michel Delamarre doit notamment « se rendre sur le terrain pour améliorer le parcours du patient », explique le cabinet du ministre.

Le DBoucher indique ne pas avoir eu de communications avec M. Delamarre jusqu’à présent.

Pour sa part, la présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec, la Dre Judy Morris, plaide pour une nouvelle intervention de Québec. « On est un peu dans les mêmes eaux [qu’avant la cellule de crise]. L’urgence subit ce qui se passe dans le réseau et l’exemple de ça, ce sont les fameux NSA. Ce chiffre-là a augmenté à 14 %, c’est plus haut qu’il ne l’a jamais été récemment », illustre-t-elle.

Il faut agir parce que nos chiffres ne sont pas beaux. Des 200 % et plus, c’est franchement inquiétant […], il faut que quelque chose soit fait, quel que soit le véhicule ou le format.

La Dre Judy Morris, présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec

Le cabinet du ministre Dubé admet que la « situation est difficile avec la hausse des virus respiratoires, mais aussi avec les journées de grève ».

« Pour enlever de la pression sur nos urgences, il faut que les patients qui ne nécessitent pas de soins immédiats puissent se tourner vers d’autres options. C’est ce que fait notre gouvernement avec la ligne pédiatrique et le Guichet d’accès à la première ligne. Toutefois, ces services fonctionnent à capacité réduite lors des journées de grève, ce qui augmente la pression », a-t-on indiqué lundi.