(Québec ) Le gouvernement Legault imposera le bâillon pour faire adopter la réforme en santé de Christian Dubé, au mieux samedi matin. Le ministre de la Santé se dit « tanné » d’attendre et plaide l’urgence d’agir. L’opposition l’accuse de « bâcler » le travail.

« Je suis un peu tanné de voir ce qui se passe dans notre réseau. Des gens qui attendent à l’urgence, des gens qui meurent à l’urgence, des gens qui ne sont pas capables d’avoir un rendez-vous avec leur médecin, des listes d’attente de la DPJ. Je suis tanné de ça », a lancé M. Dubé à la sortie de la période des questions, vendredi.

« J’ai eu un mandat très clair, il y a trois ans, du premier ministre : changer les choses. On a eu une pandémie qui nous a fait très mal. J’ai demandé aux oppositions s’ils voulaient prendre quelques jours de plus, on n’a pas réussi à s’entendre. Je suis tanné, je veux continuer », a-t-il ajouté avec impatience.

Un peu plus tôt, le gouvernement Legault a confirmé qu’il imposera le bâillon pour faire adopter l’imposante réforme en santé du ministre Dubé. La réforme controversée de l’ex-ministre libéral de la Santé Gaétan Barrette avait aussi fait l’objet d’un bâillon en 2015.

Cette procédure d’exception a débuté à 15 h vendredi, dernier jour de la session parlementaire avant la relâche des Fêtes, avec une nouvelle période de questions. Les débats se poursuivront toute la nuit. Le projet de loi 15 pourrait être adopté au mieux samedi matin ou plus tard en journée.

La première version du volumineux projet de loi 15 comportait quelque 1200 articles. Des centaines d’amendements ont été déposés par le ministre Dubé au cours des travaux parlementaires, et encore cette semaine. Il reste donc encore plus de 500 articles à adopter, dont plusieurs de concordance.

La réforme a été déposée en mars. L’étude détaillée s’est amorcée au printemps. Selon un cumulatif du cabinet du ministre Dubé, le texte législatif a été examiné pendant 280 heures (étude détaillée et consultations).

La décision d’avoir recours au bâillon survient dans un contexte où la popularité du gouvernement Legault s’effrite selon les derniers sondages d’opinion et qu’il cherche toujours à s’entendre avec les 600 000 employés de l’État, dont les travailleurs de santé. Les 420 000 membres du front commun syndical ont d’ailleurs amorcé vendredi une nouvelle ronde de grève.

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui sera en grève du 11 au 14 novembre, a fortement dénoncé le recours au bâillon. « C’est totalement antidémocratique et sans fondement. Ce gouvernement aime parler de “courage politique”. Ici, c’est de la témérité politique, » a déploré la vice-présidente de la FIQ, Françoise Ramel.

C’est le cinquième bâillon du gouvernement Legault depuis son arrivée au pouvoir en 2018. Il a eu recours à cette mesure pour faire adopter ses projets de loi sur les tarifs d’hydroélectricité, la laïcité de l’État, l’immigration et la réforme des structures du réseau scolaire.

Appui du premier ministre

« La CAQ a été élue pour rendre le réseau de la santé et de l’éducation efficace », a plaidé le premier ministre au Salon bleu, talonné par le chef libéral intérimaire, Marc Tanguay. « Le Parti libéral, pendant 15 ans, n’a pas eu le courage. Parlez-en à Gaétan Barrette qui n’a pas été appuyé par son premier ministre. Moi, je vais appuyer le ministre de la Santé et on va enfin livrer ce que les Québécois [attendent] », a-t-il répliqué.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

François Legault

Le premier ministre a réitéré cet appui lors de son traditionnel bilan de fin de session auquel le ministre Dubé a participé. Lors de l’exercice, Christian Dubé a d’ailleurs confirmé son intention de terminer son mandat. « Oh que oui », a-t-il lancé. Le Parti québécois expliquait l’empressement du ministre à adopter sa réforme par le fait qu’il voulait « tourner la page sur son mandat en santé ».

Mercredi, le gouvernement Legault avait proposé à l’opposition de prolonger la session parlementaire la semaine prochaine. Les élus membres de la commission de la santé et des services sociaux auraient alors poursuivi l’étude détaillée du projet de loi 15 de lundi à mercredi. En contrepartie, l’opposition aurait eu à accepter d’adopter le texte législatif, jeudi. Le Parti québécois a rejeté la proposition.

Jeudi, le leader parlementaire du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, était revenu à la charge en proposant d’ajouter une journée de commission pour une adoption, vendredi prochain. Encore une fois, le Parti québécois a refusé. Le Parti libéral du Québec se disait satisfait de ce compromis. Québec solidaire voulait continuer de siéger sans s’engager à une adoption.

« La pire erreur de son mandat »

Le chef libéral intérimaire, Marc Tanguay, a accusé vendredi François Legault d’imposer un bâillon sur une réforme « majeure qui aura des impacts néfastes ». Le leader libéral a même affirmé qu’il s’agit « de la pire erreur de son mandat ».

« Être tanné, ce n’est pas une raison pour botcher le travail. Ce travail-là vaut entre deux à trois semaines, on voulait le faire correctement et le gouvernement préfère faire les choses sur un coin de table », a soutenu pour sa part le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon.

« Il reste vraiment beaucoup de substance, puis des choses qui doivent être traitées. Chaque jour, on voit des erreurs, puis, chaque jour, on en relève […] tous les partis d’opposition confondus, puis il y a des modifications qui sont apportées [au projet de loi] », a fait savoir pour sa part le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard. « Il va y en avoir des erreurs, je veux dire, ça va être imparfait, puis c’est antidémocratique. »

Le projet de loi 15 qui se traduira par la création de Santé Québec prévoit une période de six mois après son adoption pour constituer cette toute nouvelle société d’État, qui deviendra l’employeur unique du réseau de la santé et des services sociaux. Santé Québec sera responsable de tout le volet opérationnel du Ministère.

Avec Tommy Chouinard et Hugo Pilon-Larose