Sa réforme adoptée sous bâillon, Christian Dubé peut passer à la prochaine étape : la création de Santé Québec, une nouvelle société d’État qui deviendra l’employeur unique du réseau. De l’aveu même du ministre, des « changements importants » marqueront 2024. En voici un aperçu.

(Québec) Recruter les top guns

Christian Dubé l’admet : « la partie la plus intéressante » pour lui sera de mettre sur pied l’équipe chargée de piloter Santé Québec. Le ministre de la Santé veut notamment recruter des top guns du privé pour diriger la nouvelle agence. Un appel de candidatures sera lancé en janvier pour embaucher le futur PDG de Santé Québec et le président du conseil d’administration. M. Dubé s’attend à ce que ces postes clés soient pourvus en mars ou avril. La nomination des membres du conseil d’administration et de l’équipe de direction doit aussi survenir à l’hiver 2024. La Presse rapportait en mars dernier que le ministre était prêt à mettre sur la table des offres salariales concurrentielles pour attirer des candidats, quitte à sortir du cadre standard de rémunération du secteur public.

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Le premier ministre du Québec, François Legault, et le ministre de la Santé, Christian Dubé, le 7 décembre

Créer Santé Québec

Une fois que l’équipe de direction sera mise sur pied, la loi prévoit un délai de six mois pour créer la nouvelle agence. Santé Québec deviendra une société d’État, comme Hydro-Québec, qui supervisera tout le volet opérationnel du réseau de la santé. La définition des grandes orientations et des stratégies gouvernementales demeurera dans le giron du ministère de la Santé et des Services sociaux. Le début du transfert des effectifs du Ministère, comme les sous-ministres affectés aux opérations, s’amorcera au printemps prochain. Santé Québec devient aussi l’employeur unique des quelque 330 000 employés du réseau pour « réduire la bureaucratie » et améliorer l’« efficacité ». Par exemple, les 34 employeurs actuels du réseau (CISSS, CIUSSS) disposent chacun de leur système de paie. L’intégration des établissements à Santé Québec est prévue à l’automne 2024.

Bouleversement syndical

La réforme bouleverse le milieu syndical. La création d’un employeur unique veut aussi dire la fusion de l’ancienneté syndicale. Une infirmière pourra alors changer d’établissement sans perdre son ancienneté. Dans la métropole, on craint de voir des travailleurs de la santé qui habitent en banlieue déserter les hôpitaux de Montréal. Autre changement : la réforme fera passer les 136 tables de négociations actuelles à 6 tables nationales. La mouture initiale du projet de loi en prévoyait 4. Or, le ministre a choisi à la dernière minute de rebrasser les catégories d’emplois, les faisant passer de 4 à 6. Un choix « inutile » aux yeux des syndicats, qui ont dénoncé le manque d’écoute du ministre tout au long du processus. Les changements aux accréditations syndicales ne sont plus liés à la création de l’employeur unique et seront plutôt décrétés.

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Infirmière travaillant à l’hôpital Jeffrey Hale, qui sera utilisé comme modèle à suivre dans la foulée de la réforme du système de santé

Et pour le patient ?

Christian Dubé fait le pari que les changements apportés à la gouvernance auront des répercussions sur le patient. L’objectif de sa réforme est d’ailleurs de rendre l’imposant réseau de la santé et des services sociaux plus efficace et d’en faire « un employeur de choix » pour ramener et retenir le personnel de la santé, et ainsi améliorer l’accès aux soins. Parmi les nouveautés, il sera désormais possible de connaître son rang sur une liste d’attente en chirurgie, par exemple. Un patient pourra aussi se faire offrir une autre option, vers une autre région ou le privé, lorsque les délais d’attente pour un service spécialisé seront jugés « déraisonnables ». C’est Santé Québec qui déterminera ces délais. On procédera aussi à la création de postes de commissaire national aux plaintes et à la qualité des services et d’inspecteur national des services.

Du lest devant les médecins

À l’instar des omnipraticiens, les médecins spécialistes seront eux aussi soumis à des « activités médicales particulières », comme effectuer des gardes ou couvrir des quarts défavorables. À ce sujet, le ministre a jeté du lest. Plutôt que d’inscrire ces nouvelles obligations dans la loi, il a négocié une entente avec la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), comme le réclamait le syndicat de médecins. M. Dubé a aussi abandonné une disposition de son projet de loi qui liait les médecins de famille et les médecins spécialistes à un département régional précis.

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Consultations particulières et auditions publiques sur la réforme Dubé, en avril dernier

Mammouth, vous dites ?

Le projet de loi 15 est à ce point imposant qu’en volume, il arrive au quatrième rang depuis 1980. L’Assemblée nationale ignore d’ailleurs le moment où la version finale de la loi sera prête à publier en raison du « grand nombre d’amendements adoptés », du « nombre de personnes impliquées dans le processus de validation » et de l’embouteillage législatif de fin de session parlementaire. En effet, la mouture initiale – une brique de quelque 300 pages et 1180 articles – a été largement amendée au cours de l’étude article par article. Le ministre a d’ailleurs déposé pas moins de 475 amendements, et ce, jusque dans les jours précédant le bâillon. C’est aussi le texte législatif qui a été le plus longtemps étudié, avec 238 heures en commission parlementaire.

La réforme Dubé en cinq dates

17 août 2022 : Au seuil de la campagne électorale, la CAQ s’engage à rendre plus « agile » l’imposant ministère de la Santé et des Services sociaux, dont les failles ont été mises au jour pendant la pandémie, en créant une nouvelle entité qui sera concentrée sur les opérations.

29 mars 2023 : Christian Dubé dépose le projet de loi 15, qui vise à rendre plus efficace le réseau de la santé et des services sociaux.

9 mai 2023 : En pleine commission parlementaire, le ministre affronte le tir groupé des deux fédérations de médecins et de leur ordre professionnel, qui l’accuse de vouloir écarter des lieux décisionnels.

24 octobre 2023 : Dans une sortie rarissime, six ex-premiers ministres, dont Lucien Bouchard, s’opposent à ce que les centres hospitaliers et les instituts universitaires soient « fusionnés » à Santé Québec.

9 décembre 2023 : Le projet de loi 15 est adopté sous bâillon, une décision décriée par l’opposition.