(Québec) Un important verrou vient de sauter dans les conventions collectives en vue de ramener dans le giron public les travailleurs des agences privées. Le gouvernement Legault s’est entendu avec le plus gros syndicat du secteur de la santé pour reconnaître à ces travailleurs jusqu’à quatre à cinq ans d’ancienneté.

Ce qu’il faut savoir

  • Québec va éliminer progressivement le recours aux agences privées en santé à compter de l’automne
  • Il veut convaincre les 11 000 travailleurs d’agence de revenir dans le réseau public
  • Une entente lève un obstacle majeur et permet de reconnaître jusqu’à quatre à cinq ans d’ancienneté à ces travailleurs

En contrepartie, la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN (FSSS-CSN) a obtenu que les salariés du réseau puissent cumuler les années d’ancienneté passées dans différents établissements. Et il y a eu bonification des primes à la clé.

Dès le début des négociations il y a un an, le premier ministre François Legault soutenait que « le plus gros problème pour améliorer le réseau de la santé » se trouve dans les conventions collectives qui empêchent de reconnaître toute ancienneté au personnel des agences privées prêt à revenir dans le réseau public.

C’était un obstacle de taille pour le gouvernement, surtout qu’il a fait adopter l’an dernier une loi pour mettre fin progressivement au recours à la main-d’œuvre des agences privées de placement de personnel. Dès le 20 octobre, le réseau public ne pourra plus faire appel aux agences à Montréal, à Laval, en Montérégie, dans la Capitale-Nationale et dans Chaudière-Appalaches. La date limite pour d’autres régions est le 19 octobre 2025 ou le 18 octobre 2026, selon le cas.

Québec veut recruter un maximum des quelque 11 000 travailleurs des agences, dont près de 3000 infirmières. Il tenait à ce que les négociations dans le secteur public puissent permettre de trouver un terrain d’entente sur la reconnaissance de l’ancienneté de ces travailleurs, condition essentielle selon lui pour les attirer.

Dans l’entente sectorielle intervenue à la veille de Noël et adoptée officiellement par la FSSS-CSN mardi, les parties ont convenu d’un « processus de reconnaissance de l’ancienneté » pour les travailleurs provenant d’agences et pour les salariés actuellement à l’emploi du réseau public.

Des balises

Ce processus « unique » de reconnaissance d’ancienneté se déroulera cette année, « entre la date d’entrée en vigueur de la convention collective et jusqu’à six mois après la création de l’agence Santé Québec » prévue ce printemps, selon la FSSS-CSN, qui compte environ 120 000 membres.

Ainsi, pour un travailleur d’agence prêt à intégrer le réseau public, on reconnaîtra l’ancienneté « à compter du 13 mars 2020, et ce jusqu’à six mois après la création de l’agence Santé Québec, pour la période où [cette personne] a travaillé dans les établissements du réseau pour le compte d’une agence », peut-on lire dans un document explicatif de la FSSS-CSN. Cela donnerait environ quatre à cinq ans, au maximum. Il reste à voir si cette mesure séduira des travailleurs d’agence.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Réjean Leclerc, président de la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN (FSSS-CSN)

« Ça prouve qu’on a de la flexibilité, alors que, de façon éhontée, on nous disait que l’on n’en avait pas », soutient en entrevue le président de la FSSS-CSN, Réjean Leclerc. Le gouvernement refuse de commenter l’entente pour le moment.

« On est cohérent avec notre discours : on veut rapatrier le personnel (des agences), mais pas à n’importe quelle condition, ajoute Réjean Leclerc. Il a fallu expliquer au gouvernement que ça ne pouvait pas être « passer go et réclamer 200 $ » parce qu’il y aurait eu une levée de boucliers dans les assemblées. Il a fallu mettre des balises. » L’ancienneté est considérée comme une « vache sacrée » dans le réseau, comme il le rappelle.

Donnant-donnant

Au départ, la FSSS-CSN était opposée à reconnaître de l’ancienneté aux travailleurs des agences « parce que la contrepartie concernant le personnel dans le réseau n’était pas dans le discours du gouvernement ». Québec a finalement accepté la demande syndicale.

Selon l’entente, le gouvernement accorde l’« ancienneté réseau » aux travailleurs actuellement en emploi dans le secteur public. Il faut comprendre que l’ancienneté d’un travailleur a toujours été liée à son établissement – un CISSS ou un CIUSSS. S’il change d’établissement, le compteur retombe à zéro : on ne tient pas compte des années d’ancienneté passées dans un précédent établissement.

Ce ne sera plus le cas désormais. Selon l’entente, on reconnaîtra aux salariés actuels du réseau « le cumul d’ancienneté provenant de liens d’emploi passés chez tous les employeurs du réseau de la santé et des services sociaux, à la condition qu’il ne se soit pas écoulé plus d’un an entre ces liens d’emploi ». Les travailleurs devront en faire la demande dans le cadre du processus de reconnaissance et faire la preuve des années d’ancienneté.

Avec la création de Santé Québec, l’enjeu ne se posera plus pour l’avenir. Comme cette agence deviendra l’employeur unique dans le réseau, un travailleur pourra changer de région sans perdre son ancienneté.

Primes bonifiées

À la table de négociation, « quand on a ouvert à ce que le personnel d’agence se voit reconnaître des années d’ancienneté, je vous avoue que ça a permis d’ouvrir beaucoup d’autres chantiers qui étaient bloqués, notamment les primes », raconte Réjean Leclerc.

Ces primes pour les quarts de travail de soir, de nuit et de fin de semaine de même que les primes pour certains milieux de travail plus difficiles ont été bonifiées de façon importante.

L’entente prévoit aussi l’octroi d’un montant forfaitaire de 50 $ à 100 $ par jour pour un salarié qui accepte d’aller travailler ailleurs dans son établissement ou dans un autre établissement. Un tel déplacement se fait sur une base volontaire.

Malgré l’entente, « l’enjeu de la surcharge de travail demeure entier », ce que les membres ont déploré en assemblée, a reconnu Réjean Leclerc. Ils ont néanmoins adopté l’entente dans une forte majorité, selon le bilan des votes qui se sont terminés mardi. « On fait un acte de foi en disant : espérons que la mesure [sur l’ancienneté des travailleurs d’agence] fonctionne, parce qu’avec chaque personne qui s’ajoute on va pouvoir répartir la charge de travail plus équitablement », affirme Réjean Leclerc.

Québec n’a toujours pas conclu d’accord avec la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui représente la majorité des infirmières. Mais l’entente intervenue avec la FSSS-CSN trace la voie pour ces négociations.

Équité salariale : Des milliers de dollars pour 40 000 travailleuses

Quelque 40 000 travailleuses du réseau de la santé toucheront des milliers de dollars en vertu d’une entente sur l’équité salariale intervenue entre Québec et des syndicats, dont la FSSS-CSN. Cette entente règle des griefs déposés au cours des dernières années, des litiges remontant jusqu’à 2010 dans certains cas. Elle concerne le personnel de bureau et d’administration. Les sommes rétroactives que toucheront ces travailleuses varient selon le titre d’emploi. Elles atteindront jusqu’à 20 000 $ pour une agente administrative classe 3 au sommet de l’échelle et même 26 000 $ pour une adjointe à la direction, selon les calculs de la FSSS-CSN. « Ces travailleuses ont vécu une injustice » pendant des années, mais la bataille syndicale a porté ses fruits, affirme Réjean Leclerc.

Rectificatif
Une version précédente de ce texte contenait une coquille au sujet des sommes rétroactives qui seront versées à une agente administrati
ve classe 3.