Le putois à pieds noirs a presque disparu de la surface de la Terre. Miraculeusement rescapé grâce au service américain de la faune, ce cousin de la belette souffrait d’une tare périlleuse, car tous ses représentants descendent de sept putois. Le risque de maladie congénitale vient d’être évité grâce à un programme de clonage, une première dans l’histoire de la conservation.

Willa et Elizabeth Ann

Un putois à pieds noirs nommé Willa, mort en 1988. Et un autre nommé Elizabeth Ann, née en 2021, 33 ans plus tard. Rares sont les putois à pieds noirs qui reçoivent un nom. Mais pour Ben Novak, ces deux animaux sont très spéciaux. « Elizabeth Ann est un clone de Willa, explique le biologiste de l’ONG américaine Revive & Restore. Nous espérons, grâce au clonage, augmenter les chances de survie des putois à pieds noirs à l’état sauvage. Ils ont été réintroduits après avoir disparu, grâce à un programme de reproduction en captivité. Mais il y a seulement sept individus parmi leurs ancêtres. Alors le risque de consanguinité est très grand. Cloner Willa permettrait d’augmenter la diversité génétique de l’espèce. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE REVIVE & RESTORE

Ben Novak tenant Elizabeth Ann après sa naissance

Elizabeth Ann est née début 2021, mais elle a un problème à l’utérus qui l’empêche de se reproduire. « Nous allons cette année faire une deuxième campagne de clonage de Willa », dit M. Novak. Si c’est possible, c’est parce que les cellules de Willa ont été cryopréservées au zoo de San Diego.

Disparition et renaissance

PHOTO TIRÉE DU SITE DU SERVICE AMÉRICAIN DE LA FAUNE

Un putois à pieds noirs

Le putois à pieds noirs (aussi appelé putois d’Amérique au Canada) était considéré comme disparu au début des années 1980. Mais une population isolée a été découverte en 1981, dans le Wyoming, par le Service américain de la faune. « Ils ont capturé les 24 derniers individus de cette population en 1987, mais 6 d’entre eux sont morts peu après d’un virus, dit M. Novak. Les biologistes de la Faune ont réussi à faire se reproduire en captivité 14 des 18 survivants. Mais à cause de la consanguinité, il n’y avait en réalité que sept individus distincts à l’origine de la lignée en captivité. »

« Au début des années 1990, on a commencé à réintroduire des putois à pieds noirs dans les États d’où ils avaient disparu, poursuit le biologiste. On maintient toujours le programme de reproduction en captivité, parce que la plupart des populations ne sont pas capables de se maintenir. Alors on ajoute des animaux nés en captivité aux populations qui en ont besoin. » Willa est l’un des six putois à pieds noirs capturés en 1987 qui sont morts d’un virus avant de pouvoir se reproduire en captivité.

Il n’y a pas de putois à pieds noirs dans d’autres pays que le Canada et les États-Unis. Le putois à pieds noirs est disparu à cause de l’urbanisation, qui a aussi affecté sa principale proie, le chien de prairie. Au Canada, le zoo de Toronto participe au programme américain de reproduction en captivité du putois à pieds noirs.

L'a b c du clonage

PHOTO TIRÉE DU SITE DE REVIVE & RESTORE

Elizabeth Ann à 4 mois

Revive & Restore prend un ovule de furet domestique et en enlève tout le matériel génétique reproducteur. Quelques cellules de Willa sont insérées dans l’ovule de furet domestique. Le clone est alors en route. Lors de la première série de clonage, cinq clones ont été implantés avec succès dans des femelles de furet domestique, mais seule Elizabeth Ann est née.

Pourquoi ne pas utiliser comme mère porteuse un putois à pieds noirs du programme de reproduction en captivité ? « Parce qu’il n’y a que 150 individus dans le programme et qu’on en a encore besoin pour relancer les populations sauvages », dit M. Novak. L’ovule énucléé de furet domestique contient un peu de matériel génétique, l’ADN « mitochondrial ». Mais la quantité d’ADN de la mitochondrie de l’ovule est 100 000 fois moins grande que l’ADN total d’une cellule. Cela ne contamine donc pas le génome du putois à pieds noirs, explique M. Novak.

La tourte voyageuse

IMAGE TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

La tourte voyageuse, dessinée par le naturaliste américain Jean-Jacques Audubon au XIXe siècle

L’autre projet sur lequel met beaucoup d’énergie Revive & Restore est la « dé-extinction » par clonage de la tourte voyageuse, qui a donné son nom à la tourtière (et a disparu voilà plus d’un siècle). « On partirait d’ovules d’un pigeon commun, dont on enlèverait le matériel génétique pour le remplacer par les gènes d’échantillons biologiques de tourtes voyageuses qui ont été bien préservés, dit M. Novak. Mais il y a encore quelques étapes dans l’approbation éthique du projet. »

IMAGE TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

La chasse à la tourte voyageuse par filet, selon l’illustrateur britannique James Patisson Cockburn (1779-1847)

WIKIMEDIA COMMONS

La chasse à la tourte voyageuse en Louisiane en 1875, selon l’illustrateur Bennett Smith du magazine britannique Illustrated Sporting and Dramatic News

La tourte voyageuse était considérée comme l’espère d’oiseau la plus abondante dans le monde lors de la découverte de l’Amérique. Le dernier spécimen, Martha, s’est éteint au zoo de Cincinnati en 1914. Jacques Cartier a mentionné l’abondance de la tourte voyageuse dès 1534 quand il s’est arrêté dans l’île Saint-Jean, aujourd’hui l’Île-du-Prince-Édouard. La chasse a sonné le glas de la tourte voyageuse au XIXsiècle.

Le bouquetin et le mammouth

PHOTO TIRÉE DU SITE DU PARC NATIONAL D’ORDESA

Celia, le dernier bouquetin des Pyrénées, a été empaillée.

Le clonage fait rêver les spécialistes des espèces disparues. En 2003, une société américaine de thérapie génique, Advanced Cell Technologies, a tenté sans succès de cloner Celia, le dernier bouquetin des Pyrénées, capturée en 1999 et morte en captivité. Le clone de Celia, issu d’une cellule de sa peau cryopréservée, est mort quelques minutes après sa naissance en raison d’une malformation aux poumons.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’INSTITUT SMITHSONIAN

Représentation d’artiste d’un mammouth

« Le projet qui frappe le plus l’imagination du public est la “dés-extinction” du mammouth, dit M. Novak. On partirait dans ce cas d’ovules d’éléphants. » Le biologiste californien a publié en 2018 une liste d’une dizaine d’animaux qui pourraient faire l’objet de « dés-extinctions », dans la revue Genes.

Cougar du Texas et panthère de Floride

PHOTO TIRÉE DU SITE DU SERVICE DES PARCS DE FLORIDE

La panthère de Floride

Au moins une autre espèce a été sauvée de la consanguinité. Il s’agit de la panthère de Floride, sauvée de maladies congénitales par l’arrivée de huit cougars du Texas femelles en 1995. « Il n’y avait plus qu’une trentaine de cougars de Floride, dit M. Novak. Beaucoup souffraient de testicules non descendus. Mais évidemment, à l’époque, on ne parlait pas de clonage. Le cougar du Texas est un proche cousin de la panthère de Floride, mais c’est une espèce différente. Avec notre approche, on va conserver la composition génétique du putois à pieds noirs. »

Le vaquita de Floride

PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

Un vaquita

La consanguinité n’est pas une catastrophe pour toutes les espèces. En juin, des biologistes ont observé que le cétacé le plus rare au monde, un marsouin appelé vaquita, a probablement le même nombre d’individus depuis plusieurs décennies. « Il existe seulement une dizaine de vaquitas, une espèce qui est coincée depuis des dizaines ou centaines de générations dans le nord du golfe de Californie », explique Jacqueline Robinson, de l’Université de Californie à San Francisco, qui est l’auteure principale de l’étude publiée dans Science.

PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

Un condor de Californie

« On n’a jamais rapporté de vaquitas ailleurs sur la planète. Ils se prennent dans les filets des pêcheurs et leur population a baissé tout au long du XXsiècle. Leur secret est une capacité innée à supprimer des mutations génétiques dangereuses. » D’autres espèces qui ont survécu à un très petit nombre d’individus ont peut-être la même capacité de suppression génétique, avance la biologiste californienne. « Le condor de Californie ne comptait plus qu’une dizaine d’individus dans des zoos, à la fin des années 1980, quand il a été réintroduit dans la nature. Il y en a maintenant 500 à l’état sauvage. »

En savoir plus
  • 1000
    Nombre de putois à pieds noirs à l’état sauvage aux États-Unis et au Canada
    SOURCE : Revive & Restore
    18
    Nombre de populations distinctes de putois à pieds noirs à l’état sauvage au Canada et aux États-Unis
    SOURCE : Revive & Restore
  • 4
    Nombre de populations de putois à pieds noirs n’ayant plus besoin d’apports du programme de réintroduction de l’espèce
    SOURCE : Revive & Restore
    30 à 50
    Nombre de putois à pieds noirs qui sont ajoutés aux populations sauvages chaque année grâce au programme de reproduction en captivité
    SOURCE : Revive & Restore
  • 500 000 à 1 million
    Nombre estimé de putois à pieds noirs au début du XIXe siècle
    SOURCE : Revive & Restore
    3 à 5 milliards
    Nombre estimé de tourtes voyageuses au XVIIIe siècle
    SOURCE : Revive & Restore