Un premier train alimenté à l’hydrogène vert circule au Québec cet été. Mais comment ça fonctionne ? Et surtout, est-ce la solution pour décarboner les transports ?

Actuellement, 99 % des trains en Amérique du Nord roulent au diesel. Si le Canada veut atteindre sa cible et devenir carboneutre d’ici 2050, il est grand temps d’envisager des solutions de rechange.

Pour démontrer que la réponse se trouve dans l’hydrogène vert, la multinationale française Alstom a fait venir un de ses trains d’Allemagne pour qu’il circule sur le réseau ferroviaire de Charlevoix. Jusqu’au 30 septembre, ses passagers voyagent grâce à l’hydrogène vert, une première en Amérique du Nord.

La beauté de cette technologie : elle ne produit aucune émission de carbone, seulement de la vapeur d’eau.

Un train électrique sans câble

Comment est-ce possible ? Il faut d’abord comprendre qu’un train à hydrogène est un train électrique. Pourtant, il n’est pas directement connecté au réseau d’Hydro-Québec. Pas besoin non plus de brancher le train à une borne pour recharger ses batteries, comme une voiture électrique.

L’électricité est plutôt générée grâce à une pile à combustible alimentée à l’hydrogène. Comme un train ordinaire, ce train comporte un réservoir à remplir, mais celui-ci est situé sur son toit, et contient de l’hydrogène plutôt que du diesel. Avec un seul plein, le train obtient environ 1000 km d’autonomie.

PHOTO TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Bruno G. Pollet, directeur de la Chaire de recherche du Canada sur la production d’hydrogène vert et professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

Cette technologie permet d’électrifier le réseau ferroviaire sans devoir installer de câbles d’alimentation, aussi appelés caténaires. « Ça coûterait très cher de construire ces infrastructures au Canada, parce qu’on a un immense territoire à couvrir », indique Bruno G. Pollet, directeur de la Chaire de recherche du Canada sur la production d’hydrogène vert et professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

C’est l’une des principales raisons qui expliquent pourquoi l’Amérique du Nord accuse un aussi grand retard sur l’électrification des trains par rapport au continent européen, beaucoup plus petit et densément peuplé.

La pile à combustible

Et maintenant, comment la pile à combustible génère-t-elle de l’électricité ? En langage simplifié, elle transforme l’énergie chimique en énergie électrique.

Cette pile à combustible, située sur le toit du train, combine l’oxygène de l’air avec l’hydrogène du réservoir pour créer des molécules d’eau.

« Cette réaction dégage des électrons et c’est ce qui crée un courant électrique, explique Éric Rondeau, directeur du centre d’innovation d’Alstom en Amérique. On obtient donc de l’électricité et de la vapeur d’eau. »

PHOTO FOURNIE PAR ALSTOM

La pile à combustible du train utilise l’oxygène de l’air et l’hydrogène du réservoir pour générer de l’électricité et de la vapeur d’eau.

L’appellation « pile à combustible » peut porter à confusion, parce qu’il n’y a aucune combustion dans le processus. Pour ceux dont l’hydrogène rappelle la catastrophe du zeppelin Hindenburg, rassurez-vous : la technologie est tout à fait sûre, signale Éric Rondeau.

La molécule est très légère et les réservoirs sont sur le toit, alors s’il y avait la moindre fuite, l’hydrogène serait dissipé dans l’atmosphère. On n’est pas du tout dans des conditions risquées.

Éric Rondeau, directeur du centre d’innovation d’Alstom en Amérique

D’où vient l’hydrogène ?

Pour produire de l’hydrogène vert, on utilise la réaction inverse : l’électrolyse de l’eau. En injectant un courant électrique dans l’eau, on peut séparer la molécule en oxygène, qu’on libère dans l’atmosphère, et en hydrogène, qu’on stocke dans des réservoirs à très haute pression.

Dans le cas du train de Charlevoix, la production et le ravitaillement sont fournis par Harnois Énergies. Puisque l’entreprise utilise de l’hydroélectricité, il s’agit d’hydrogène vert, c’est-à-dire qu’il ne dégage aucune émission de carbone.

Cependant, l’hydrogène vert demeure coûteux, et le marché n’est pas encore développé au Québec. « Mais ça s’en vient, c’est clair », pense le professeur Bruno Pollet, qui voit aussi dans l’hydrogène vert une manière de décarboner l’industrie lourde comme les cimenteries et les alumineries.

Une bonne idée ?

Il ne s’agit pas d’une solution miracle. Puisqu’on consomme de l’électricité pour produire de l’hydrogène, à partir duquel on génère de l’électricité, il y a forcément une perte d’efficacité. Et pour qu’il soit « vert », il faut utiliser une énergie propre au départ.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

Mathieu Picard, professeur au département de génie mécanique à l’Université de Sherbrooke

L’hydrogène n’est pas une source d’énergie en soi. Il faut plutôt le voir comme une batterie.

Mathieu Picard, professeur au département de génie mécanique à l’Université de Sherbrooke

En effet, l’hydrogène permet de stocker de l’électricité, ce qui est utile en transport pour fournir de l’énergie à un système sans être connecté au réseau. Mais quand on le compare à une batterie, il est parfois très avantageux… ou pas du tout. Ça dépend de l’utilisation qu’on en fait.

L’hydrogène est de 10 à 20 fois plus dense en énergie qu’une batterie, mais deux fois moins efficace, explique Mathieu Picard. En d’autres termes, l’hydrogène est moins lourd et emmagasine plus d’énergie, mais on en récupère moins par rapport à ce qu’on a mis au départ. Dans les deux cas, il y a des compromis à faire.

L’intérêt de l’hydrogène réside principalement dans sa légèreté et dans sa capacité de faire de plus longues distances sans ravitaillement. C’est pourquoi on le considère pour électrifier le transport lourd et l’industrie maritime.

Par exemple, des camions de marchandises à batteries ne seraient jamais rentables, estime Bruno Pollet. « La batterie représente environ 50 % du poids de la charge, alors on ne pourrait pas transporter autant de marchandises. En plus, ça prend beaucoup de temps pour la recharger. » L’hydrogène, léger et dont le réservoir se remplit rapidement, serait mieux adapté.

Mais pour des voitures personnelles, où le poids de la batterie ne cause pas de problème majeur, l’hydrogène est moins souhaitable parce que sa production consomme beaucoup d’énergie.

« On aimerait avoir une solution unique qui règle tous les problèmes, mais ce n’est pas le cas, nuance Mathieu Picard, de l’Université de Sherbrooke. Il va y avoir un éventail de solutions, et l’hydrogène vert en fait partie. Surtout pour ce qui est du transport lourd de longue distance. »