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Pourquoi voit-on le blanc des yeux des humains, contrairement aux autres animaux ? – Yves Champagne

Cette question mobilise des dizaines de biologistes et de psychologues aux quatre coins du monde depuis un quart de siècle. Mais aucune réponse définitive n’existe pour le moment.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ A&M DU TEXAS

Jessica Yorzinski, biologiste à l’Université A&M du Texas 

On étudie cette question depuis que des chercheurs ont proposé que la capacité de voir le blanc des yeux améliore la coopération entre individus.

Jessica Yorzinski, biologiste à l’Université A&M du Texas 

« Mais depuis, le phénomène s’est révélé plus compliqué que prévu », poursuit Jessica Yorzinski, biologiste à l’Université A&M du Texas, qui a publié sur le sujet en 2021 dans la revue Frontiers of Psychology.

Tout a commencé au Japon en 2001. Des biologistes de l’Institut de technologie de Tokyo ont alors proposé, dans le Journal of Human Evolution, que la taille de la sclérotique blanche humaine – soit la partie blanche entourant l’iris de l’œil – était liée à la capacité de coopération plus grande des humains, une théorie appelée « hypothèse de l’œil coopératif ». Ils avaient déjà établi, en 1997 dans Nature, que la taille de la sclérotique blanche humaine était plus grande que chez les autres mammifères. Certaines espèces ont des sclérotiques totalement sombres.

Un autre jalon a été posé en 2007, dans la même publication, par des chercheurs allemands de l’Institut Max Planck de Leipzig, qui ont observé que les bébés humains étudient le mouvement des yeux d’autrui dans le cadre de leur développement cognitif, contrairement à d’autres primates.

Par la suite, les choses se sont compliquées. Des chercheurs ont avancé qu’une sclérotique blanche trop grande rend vulnérable aux prédateurs durant la nuit, parce que le blanc est plus visible que les couleurs sombres. Et d’autres chercheurs ont contredit l’étude japonaise de 1997 affirmant que la sclérotique blanche était l’apanage de l’humain.

« On sait maintenant qu’il y a d’autres espèces de mammifères, et pas seulement des primates, qui ont une sclérotique blanche visible en tout temps, dit Mme Yorzinski. Certaines espèces ont une sclérotique blanche visible quand ils regardent de côté, ce qui permet aux autres de suivre leur regard. Mais il est certain que l’humain est à l’extrême du spectre de la taille de la sclérotique blanche. »

Parmi ces espèces, on retrouve le chimpanzé de Ngogo, en Ouganda, le léopard, qui vit en Afrique et en Asie du Sud-Est, la mangouste Helogale parvula, qui vit en Afrique, et la chèvre domestique.

  • La chèvre domestique, comme celle-ci photographiée à Neuchâtel, en France, a une sclérotique en partie blanche.

    PHOTO WIKIMEDIA COMMONS

    La chèvre domestique, comme celle-ci photographiée à Neuchâtel, en France, a une sclérotique en partie blanche.

  • La mangouste naine d’Afrique a ausi une sclérotique en partie blanche.

    PHOTO WIKIMEDIA COMMONS

    La mangouste naine d’Afrique a ausi une sclérotique en partie blanche.

  • Le léopard, ici dans la réserve nationale du Masai Mara, au Kenya, a une sclérotique en partie blanche.

    PHOTO WIKIMEDIA COMMONS

    Le léopard, ici dans la réserve nationale du Masai Mara, au Kenya, a une sclérotique en partie blanche.

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D’autres théories pour expliquer la grande sclérotique blanche humaine sont apparues. « Il est possible qu’une sclérotique sombre soit une manière de se protéger des rayons du soleil, dit la biologiste texane. Des chercheurs ont aussi montré que la sclérotique donne des informations sur la santé d’un individu. Certaines maladies affectent la couleur de la sclérotique. Les variations de couleurs sont plus difficiles à voir sur les sclérotiques sombres. »

L’étude de 2021 de Mme Yorzinski ajoute une couleur intéressante au débat. Elle a montré, à partir de photos où la sclérotique avait été colorée de manière plus ou moins foncée, que les humains ont plus de facilité à suivre le regard d’une personne aux iris pâles. « Il est donc possible que la grande sclérotique blanche humaine soit apparue à l’époque où la plupart des individus avaient des iris foncés. »

Vous avez une question scientifique ? Posez-la à Mathieu Perreault.
En savoir plus
  • 15 %
    Proportion des chimpanzés qui ont une sclérotique dont la superficie est blanche à plus de 50 %
    Source : Université d’État de l’Arizona