Détecter rapidement, à domicile ou chez le médecin de famille, les patients les plus susceptibles de souffrir de parkinson, de sclérose en plaques ou d’alzheimer, telle est la promesse de travaux d’un neurologue montréalais. Étienne de Villers-Sidani pense que les mouvements des yeux sont parmi les premiers symptômes de nombreux troubles neurocognitifs.

Sclérose en plaques

Le Dde Villers-Sidani, qui pratique au Neuro (Institut-hôpital neurologique de Montréal), a une liste d’attente de huit à neuf mois pour l’évaluation de patients soupçonnés d’avoir la sclérose en plaques. « Je les vois 30 minutes pour l’évaluation et les résultats. Ils ont plein d’inquiétudes reliées à d’autres choses, par exemple les effets secondaires des médicaments. Ce n’est pas une façon de suivre les patients à distance. »

Son étude, publiée au début de septembre dans Frontiers in Neurology, montre qu’un programme de suivi des mouvements des yeux, installé sur une tablette, a des résultats similaires à l’intervention d’un neurologue pour identifier la gravité de la sclérose en plaques, sur une échelle de 1 à 10.

« Nous pouvons expliquer avec les mouvements des yeux 84,9 % de la variance sur cette échelle, ce qui signifie de façon approximative qu’il est possible d’estimer à 85 % le score de la maladie avec l’application. Le reste du temps, le score n’était donc pas parfaitement exact, mais pas nécessairement très loin. »

Parkinson

La même application a donné un taux de faux positifs de 11 % dans la détection de la maladie de Parkinson. Une étude a été publiée sur le sujet dans la même revue, le printemps dernier.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le Dde Villers-Sidani, qui pratique au Neuro (Institut-hôpital neurologique de Montréal)

Mais la validation pour le parkinson est moins avancée. « Pour la sclérose en plaques, on va déposer une demande d’utilisation clinique à Santé Canada cette année, dit le Dde Villers-Sidani. Pour le parkinson, ça va être l’an prochain. »

Le test avec la tablette prend moins de 15 minutes.

Stephen Hawking

L’application a été développée par le neurologue de l’Université McGill voilà une demi-douzaine d’années. « Au départ, on voulait aider les gens ayant des troubles moteurs de locution à parler. Il existe des technologies très coûteuses, comme celle qu’utilisait Stephen Hawking. » Cet astrophysicien britannique souffrait de sclérose latérale amyotrophique.

Finalement, cette aide à la parole a été plus compliquée que prévu à développer. « Mais on a vu au passage que le mouvement des yeux était l’une des premières fonctions affectées par des troubles neuromoteurs. »

Cancer et alzheimer

En fait, le lien entre le mouvement des yeux et les problèmes neurologiques a été remarqué par la science dès le XIXe siècle.

« On voit maintenant que ce ne sont pas seulement les troubles neuromoteurs qui affectent le mouvement des yeux, mais aussi les troubles neurocognitifs », dit le Dde Villers-Sidani.

Il travaille donc avec des chercheurs spécialistes de la maladie d’Alzheimer et des troubles cognitifs liés au cancer.

On pourrait avoir une présélection de patients plus susceptibles d’avoir des problèmes, encore une fois pour accélérer l’accès aux neurologues. Si les neurologues voient moins de patients qui, finalement, n’ont pas de problèmes neurologiques, ça va réduire le temps d’attente.

Le Dr Étienne de Villers-Sidani

Les sociétés pharmaceutiques

La société Novartis finance les travaux du neurologue montréalais. « Pour les compagnies pharmaceutiques, pouvoir identifier les patients à un stade plus précoce permet de ralentir la progression de la maladie, dit le Dde Villers-Sidani. Il y a, par exemple, des médicaments pour la sclérose en plaques ou le parkinson qui ne peuvent pas être utilisés pour certains patients parce qu’on a le diagnostic trop tard. »

La venue prochaine de nouveaux médicaments contre l’alzheimer, approuvés aux États-Unis cette année, augmente aussi l’importance d’un diagnostic précoce.

Le singe et l’humain

Au Centre national de la recherche scientifique, en France, Laurent Goffart étudie quant à lui les réseaux neuronaux impliqués dans les mouvements des yeux. « Il y a le nerf optique, qui envoie des informations au cerveau, dit M. Goffart, qui travaille chez le macaque. Ensuite, des commandes sont envoyées au nerf oculomoteur qui commande le mouvement des yeux. Comprendre les neurones impliqués dans tout ce processus permettra de savoir quelles régions du cerveau sont atteintes avec différents troubles oculomoteurs. »

L’importance de l’une des régions qu’il a identifiées comme essentielles à ce processus chez le singe vient d’être confirmée chez l’humain. « C’est important, parce qu’on avait auparavant identifié des régions du cerveau importantes chez la souris qui, finalement, ne le sont pas chez l’humain. »

Il s’intéresse à des troubles très spécifiques de la vision. « Par exemple, certains patients sont incapables de faire de l’anti-saccade. C’est la capacité de ne pas regarder un objet qui apparaît dans son champ de vision. Il y a aussi la capacité de distinguer le haut du bas, et la capacité de tracer une ligne horizontale ou verticale. Certains patients sont capables de tracer une ligne horizontale, mais pas verticale, ou vice-versa. »

Comment le cerveau fonctionne

M. Goffart, dont les travaux sont cités par le Dde Villers-Sidani, travaille aussi de manière plus fondamentale sur le fonctionnement du cerveau.

« On a souvent essayé de décrire le fonctionnement des neurones avec des notions de la physique mécanique, la vitesse, la durée, l’amplitude. Mais ce n’est pas nécessairement ce qui se passe. Par exemple, il semble que lorsque les yeux sont immobiles, il ne s’agit pas de l’absence de commandes neuronales. Il s’agit plutôt de commandes simultanées qui s’annulent. Les neurones disent à l’œil d’aller en haut, en bas, à droite et à gauche, alors il reste immobile. »

En savoir plus
  • 77 000
    Nombre de personnes atteintes de sclérose en plaques au Canada
    Source : Santé Canada
    75 %
    Proportion des personnes atteintes de sclérose en plaques qui sont des femmes
    Source : Santé Canada