Mammographie, colonoscopie, test PAP, examen de la prostate. Ces méthodes de dépistage du cancer pourraient à l’avenir céder la place à de simples analyses sanguines.

Le Graal

Depuis 2021, la société américaine Grail, fondée par un ancien directeur de l’Institut national du cancer des États-Unis, offre pour 950 $ US son test Galleri, qui détecte une cinquantaine de cancers dans le sang. Mais le test n’est toujours pas approuvé par les autorités réglementaires américaines (FDA), ce qui signifie qu’il n’est pas remboursé par les assurances publiques et privées. Une nouvelle étude, qui vient d’être publiée dans le Lancet, montre que le taux de faux négatifs de Galleri – soit les patients qui ont un résultat négatif mais, en réalité, ont un cancer – est légèrement plus élevé que les affirmations de Grail, soit 1,4 % au lieu de 1 %. Le taux de faux positifs, lui, est de 62 %. Cela signifie que près des deux tiers des patients soupçonnés d’avoir un cancer n’en ont finalement pas.

PHOTO FOURNIE PAR GRAIL

Le laboratoire où Grail fait les analyses du test Galleri a été inagurée en 2021 en Caroline du Nord.

« Le taux de faux négatifs est semblable à d’autres types de dépistage non sanguin dans la population générale comme le sang occulte dans les selles ou la mammographie », note Denis Soulières, hématologue et oncologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Le taux de faux positifs, bien qu’il soit important, est aussi comparable à celui des mammographies annuelles, selon le DSoulières.

L’auteure principale de l’étude du Lancet, Deborah Schrag, du Centre de cancer Memorial Sloan Kettering à New York, explique ce qui cause ce taux élevé de faux positifs. « Nous cherchons des morceaux d’ADN caractéristiques des tumeurs, donc anormaux, qui se retrouvent dans le sang (ctDNA), dit la Dre Schrag. Le but est de déceler les cancers avant qu’ils ne causent des symptômes, donc à un stade précoce. On détecte actuellement beaucoup d’ADN dans le sang qui semble anormal, mais finalement, ce n’est pas du ctDNA. »

Quand un tel test pourrait-il être utilisé au Canada ? « Il n’est pas encore approuvé aux États-Unis par la FDA, souligne le DSoulières. Ici, de toute façon, il faudrait déjà augmenter la proportion de la population qui participe aux programmes de dépistage actuels. Dans l’étude, plus de 90 % des patients faisaient du dépistage du cancer du côlon et du sein. Ici, pour le sein, on est à moins de 85 % et il n’y a pas de programme systématique de dépistage du cancer du côlon. »

Plus tôt cette année, une entreprise de télémédecine américaine a fait une erreur administrative en envoyant de mauvais résultats de Galleri à 408 patients, leur indiquant qu’ils avaient un cancer, alors que ce n’était pas le cas. Il ne s’agissait pas de faux positifs. L’affaire a été dévoilée par le Financial Times.

Imagerie médicale

Nathaniel Bouganim, oncologue au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), craint que l’usage trop répandu de tests comme Galleri ne fasse augmenter en flèche le nombre d’imageries médicales. « Avec un scan, on trouve beaucoup d’anomalies qui ne signifient pas qu’on a le cancer. Alors, il faut faire un autre scan dans trois mois, six mois, un an, pour confirmer si c’est bénin. »

Le DSoulières n’est pas si inquiet. « Dans l’étude du Lancet, ils ont utilisé un PET scan [tomographie par émission de positrons]. Son utilisation est relativement restreinte au Québec. Si un test de ce genre était approuvé, il y aurait des lignes directrices pour l’imagerie de suivi. Et je ne pense pas que ça inclurait le PET scan. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Denis Soulières, hématologue et oncologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM)

La Dre Schrag confirme quant à elle que le surdiagnostic lié au fort taux de faux positifs pourrait poser problème, parce qu’il s’appliquerait à un nombre beaucoup plus élevé de types de cancers que ceux qui font actuellement l’objet de programmes de dépistage. « Ça pourrait coûter très cher en termes d’imagerie médicale et, aussi, causer beaucoup d’anxiété chez les patients. »

Réduire la mortalité

Un autre problème est que certains cancers progressent si lentement qu’ils ne causent pas la mort du patient. « Les traitements pour le cancer augmentent, dit le DBouganim. Alors il faudra prouver que ce genre de tests diminue la mortalité. »

Une autre étude, en cours au Royaume-Uni auprès de 140 000 patients, va d’ici quelques années dévoiler si Galleri réduit le nombre de cancers avancés, rapporte la Dre Schrag. « Si cette étude montre que le nombre de cancers avancés peut être réduit de manière substantielle, on va avoir autant d’enthousiasme qu’avec des résultats [abaissant] la mortalité. » L’étude britannique porte sur une version améliorée de Galleri, qui détecte un nombre moins élevé de cancers du sang bénins.

« L’avantage de la survie n’est pas strictement nécessaire, dit le DSoulières. Si on fait en sorte que c’est un avantage, tant mieux, mais si on est capable de démontrer de la survie sans traitement, c’est bon aussi. »

Le nombre d’années de vie de qualité est aussi important. Si on prend la maladie à un stade moins avancé, le traitement peut être beaucoup moins difficile pour le patient. Par exemple, avec le cancer du sein, on n’aura pas nécessairement besoin de chimiothérapie ou de radiothérapie prolongées après une opération.

Denis Soulières, hématologue et oncologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal

La détection d’un cancer à un stade précoce peut aussi diminuer le risque de métastase, selon Tarik Möröy, spécialiste de la leucémie à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM). « L’étude du Lancet est très, très bien faite, je trouve que les auteurs sont très sages dans leur interprétation. »

Populations à risque

Un test comme Galleri pourrait être utilisé pour des populations ciblées, selon le DSoulières. « Je pense qu’on va l’utiliser avec des sous-populations, par exemple les 50 ans et plus avec des risques de cancer, comme des antécédents familiaux, ou alors des facteurs exogènes comme la cigarette ou une exposition environnementale comme à Rouyn-Noranda », dit le DSoulières.

Julia Valdemarin Burnier, biologiste du CUSM, estime également que ce genre de test risque de cibler les gens qui ont des risques accrus par rapport à la population générale de leur âge. « On pourrait aussi suivre des patients qui ont un diagnostic, pour savoir comment la maladie évolue et voir le moment idéal pour commencer ou reprendre un traitement. »

Le Québec est en train de mettre sur pied un programme balisant l’utilisation des tests sanguins ctDNA en oncologie, rapporte le DSoulières.

En savoir plus
  • 30 %
    Proportion des décès au Québec qui sont dus au cancer
    SOURCE : CHUM