Peu connue au Québec, la climatologue Corinne Le Quéré est une véritable vedette en Europe, où elle conseille la France et le Royaume-Uni sur les questions climatiques. La Presse a rencontré cette Québécoise originaire de l’Outaouais lors de son passage à Ottawa.

On a l’impression que l’Europe et la France ont une certaine avance sur l’Amérique du Nord en matière de climat. Comment expliquez-vous cela ?

Les gouvernements se sont rendu compte assez tôt du fait qu’on était obligés d’agir, et que ceux qui allaient agir très tôt seraient les économies qui seront bien positionnées pour le monde de demain. Le fait d’avoir des accords entre les différents partis politiques sur le besoin de répondre [aux changements climatiques] a aussi permis d’avancer sans trop d’arrêts chaque fois qu’il y a eu un changement de gouvernement. En Europe, la population voit aussi de ses propres yeux les impacts des changements climatiques. Ils sont plus sensibilisés et prêts à agir. Il y a également du travail de formation qui a été fait dans les pays européens pour former tous les acteurs politiques, à tous les niveaux.

Vous présidez le Haut Conseil pour le climat, qui conseille le gouvernement français et évalue ses actions. Là-bas, le gouvernement a l’obligation de répondre à vos recommandations. Comment ça se passe ?

Le Haut Conseil pour le climat fait un rapport annuel, on fait une centaine de recommandations. Et le gouvernement, comme il est prévu par la loi, doit répondre à ce rapport [au plus tard] six mois après sa publication. À toutes les recommandations, le gouvernement dit : on est d’accord, on n’est pas d’accord. On a fait ceci ou cela. Ce qu’on voit, c’est que ce cycle de rapport-réponses est très bénéfique pour faire accélérer l’action. Même si les recommandations ne sont pas reprises tout de suite, à force de les répéter, elles commencent à pénétrer l’action.

Vous êtes toujours sur X, malgré le fait que nombre de scientifiques ont quitté cette plateforme depuis un an. Pourquoi ?

La communication sur les réseaux sociaux, elle est fondamentale, elle est cruciale. La communication publique, c’est un animal intéressant. Ce n’est pas comme la communication scientifique, où on publie dans des journaux spécialisés, et une fois qu’on a publié notre article, c’est bon, c’est fini. La communication, c’est quelque chose qui doit se répéter, les gens doivent entendre plusieurs voix différentes à plusieurs moments de leur vie, à des moments où ils ont des choix importants à faire. Avec des voix qui viennent d’en haut, de pairs, des enfants, des grands-parents. La communication, c’est vraiment une histoire de volume. Les scientifiques ont un rôle à jouer, mais tous les acteurs qui s’intéressent au climat ont un rôle à jouer. C’est la quantité de messages qui se renforcent les uns les autres qui font en sorte que les gens découvrent d’eux-mêmes [les changements climatiques].

Les scientifiques ont-ils amélioré leurs aptitudes pour la communication ?

Il y a eu de gros efforts de formation des scientifiques en communication publique. Tous les scientifiques qui ont publié avec le GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] sont formés pour la communication du climat, et ces formations sont très importantes. Je pense que les rapports scientifiques sont encore trop techniques, trop avancés pour l’ensemble de la population. Pour donner un exemple avec le Haut Conseil pour le climat, on a un rapport annuel qu’on publie, mais on fait une version grand public, une version animée du rapport. Récemment, je suis allée au parlement français pour présenter ce rapport et j’avais trois piles de documents : les recommandations du rapport, le résumé exécutif et la version grand public. À la fin, il ne restait plus de versions pour le public et il nous restait les deux autres piles !

Comment évaluez-vous la situation au Canada sur le plan climatique ?

Il y a eu beaucoup d’avancées au Canada dans les dernières années. Il y a des discours que je n’ai jamais entendus. C’est très bien, mais l’action climatique y est extrêmement fragile. On voit qu’il y a un nœud qui se développe, mais ce n’est pas clair si ça va durer ou si les tendances vont s’accélérer. Le Canada est en retard, le constat est très clair. L’Afrique du Sud diminue ses émissions plus rapidement que le Canada. C’est grave. Mais en même temps, c’est encourageant de voir les efforts qui se font. Mais j’ai beaucoup d’inquiétudes par rapport à l’atteinte des objectifs actuels. Les provinces blâment le fédéral, le fédéral blâme les provinces, et ça, ce n’est pas très utile. Tout le monde doit avoir son plan vers la neutralité carbone, dans sa juridiction, bien sûr, mais tout le monde doit contribuer à sa juste mesure.

Il semble y avoir une remontée un peu partout du discours climatosceptique. Faut-il s’en inquiéter ? Faut-il engager le débat ?

Les débats d’aujourd’hui portent sur l’action, ce ne sont plus ceux sur la science. On a tourné la page, c’est maintenant démontré par le GIEC que ce sont les émissions de gaz à effet de serre des activités humaines qui causent les changements climatiques. Il faut faire bouger le débat sur comment on répond, de manière opérationnelle. Je pense en fait qu’il faut dépassionner le débat sur les changements climatiques. Il faut arrêter d’en faire un enjeu presque philosophique, à la limite du religieux. II faut en faire un enjeu de transition vers un monde qui sera meilleur si on le compare à celui où on ne fait rien.

Qui est Corinne Le Quéré ?

Née en 1966, elle a obtenu un diplôme en physique de l’Université de Montréal et un autre en sciences atmosphériques et océaniques de l’Université McGill. Elle a réalisé son doctorat sur la variabilité du carbone océanique à l’Université Pierre-et-Marie-Curie à Paris. Elle a dirigé le Tyndall Center for Climate Change Research. Elle siège depuis 2016 au UK Commitee on Climate Change, qui conseille le gouvernement britannique, et préside depuis 2019 le Haut Conseil pour le climat en France. Elle mène présentement des recherches sur le climat à l’Université d’East Anglia, au Royaume-Uni.