Et si le réchauffement climatique dépassait 1,5 degré ? De plus en plus d’études se penchent sur ce qu’il arrivera si la cible prévue dans l’Accord de Paris est dépassée, puis rétablie après quelques décennies. Or, ce genre de recherches suscite aussi un torrent de critiques.

Groenland

Une récente étude sur le Groenland, publiée à la fin d’octobre dans la revue Nature, comporte pour une fois de bonnes nouvelles climatiques. Les chercheurs scandinaves estiment que si l’humanité rate ses cibles climatiques actuelles, mais réussit à y revenir avant 2300, les glaciers du territoire danois resteront probablement en place.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ NORVÉGIENNE DE L’ARCTIQUE

Nils Bochow, de l’Université norvégienne de l’Arctique

« Il y a de plus en plus d’études sur le dépassement [overshoot] », indique l’auteur principal de l’étude de Nature sur le Groenland, Nils Bochow, de l’Université norvégienne de l’Arctique. « Elles postulent qu’on pourra enlever des gaz à effet de serre de l’atmosphère pour ramener la température aux cibles actuelles, après les avoir dépassées. Mais ces études sont compliquées. Nous avons été surpris des résultats pour le Groenland. »

Incertitude

Étudier ce qui se passerait en cas de dépassement temporaire est important, mais ne doit pas diminuer l’urgence d’agir, estime Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie à Greenpeace Canada.

Le message central d’un webinaire sur le dépassement en septembre de Climate Analytics, un groupe de réflexion international, était « un pic immédiat des émissions », note M. Bonin. Le premier conférencier de ce webinaire a affirmé que les incertitudes des études sur le dépassement sont tellement grandes qu’il est impossible de s’en servir pour prendre des décisions.

« Il est certain que les études sur le dépassement portent sur plusieurs siècles, ce qui augmente l’incertitude, dit M. Bochow. Ensuite, il est possible qu’il survienne des phénomènes de rétroaction incontrôlables qui rendent un dépassement temporaire impossible. Et il y a le problème de revenir à une température plus basse : les technologies de captage des gaz à effet de serre ne sont pas encore au point. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ HUMBOLT

Sabine Fuss, climatologue de l’Université Humbolt

Les études sur le dépassement seront de toute façon inévitables sous peu, observe pour sa part Sabine Fuss, une climatologue de l’Université Humbolt qui a discuté des technologies de captage de carbone durant le même webinaire. « Au rythme actuel, on en a seulement pour quelques années avant d’atteindre la cible de 1,5 degré. Et l’Accord de Paris [traité climatique de 2015] évoquait en quelque sorte un dépassement en parlant de limiter le réchauffement à 1,5 degré avant la fin du siècle. »

Les études sur le dépassement tiennent parfois compte de la cible de 1,5 degré, et parfois de la cible de 2 degrés.

Pergélisol

L’un des phénomènes de rétroaction incontrôlables les plus souvent cités par les critiques des études sur le dépassement est une fonte du pergélisol, qui libérerait des quantités énormes de carbone.

PHOTO TIRÉE DU SITE D’ARCUS

Des glissements de terrain dus au dégel de pergélisol dans l’île Banks, dans l'Arctique canadien

« On a vu ce genre de rétroaction incontrôlable localement, dans des régions de Sibérie touchées par une vague de chaleur en 2019 », dit Joe Melton, chimiste climatique à l’Université de Victoria et à Environnement Canada. « Mais pour le moment, on ne voit pas de tels changements à large échelle. C’est extrêmement difficile à modéliser. » Un projet de surveillance des « glissements rétrogressifs dus au dégel », des glissements de terrain ponctuels dans le pergélisol, est en cours dans les Territoires du Nord-Ouest, pour voir s’ils sont liés à des boucles de rétroaction.

La modélisation de la fonte du pergélisol durant un dépassement temporaire des cibles climatiques actuelles en est à ses balbutiements, selon M. Melton.

PHOTO FOURNIE PAR JOE MELTON

Joe Melton, chimiste climatique à l’Université de Victoria et à Environnement Canada

Il faut des siècles pour qu’une augmentation de température atmosphérique pénètre dans le sol. Mais il faudrait aussi des siècles pour qu’un refroidissement se fasse sentir dans le sol. Et tout le carbone stocké dans le pergélisol qui dégèlerait et irait dans l’atmosphère y resterait.

Joe Melton, chimiste climatique à l’Université de Victoria et à Environnement Canada

À plus court terme, le pergélisol, en libérant de l’azote gelé, pourrait par contre stimuler la croissance végétale, donc enlever du CO2 de l’atmosphère, note le chimiste.

Les écosystèmes

Environ le quart des espèces vivantes ne pourraient pas se remettre d’un dépassement temporaire des cibles climatiques, selon une étude publiée l’an dernier dans les Philosophical Transactions of the Royal Society par le biologiste Andreas Meyer, de l’Université du Cap, en Afrique du Sud.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE RESEARCHGATE D’ANDREAS MEYER

Andreas Meyer, biologiste de l’Université du Cap, en Afrique du Sud

« Essentiellement, la température reste plus élevée dans certaines régions, malgré une baisse moyenne de la température atmosphérique, dit M. Meyer. Il y a aussi des espèces qui sont affectées à plus long terme par des pertes d’écosystèmes. Si une forêt brûle entièrement pendant le dépassement, certaines espèces pourraient être déplacées ou disparaître. Même chose si une île disparaît. »

En d’autres mots, la température pourrait rester élevée dans certains microclimats même si la température moyenne planétaire baisse après un dépassement temporaire de la cible de 1,5 degré. Et si des écosystèmes disparaissent, des espèces pourraient être affectées à long terme. Par exemple, si une forêt brûle entièrement, ou une île disparaît, les espèces qui y habitent pourraient disparaître.

PHOTO WIKIMEDIA COMMONS

Le Melomys rubicola est un rat d’un récif coralien australien qui en 2019 a été déclaré la première espèce animale ayant disparu à cause des changements climatiques.

Les écosystèmes eux-mêmes sont touchés plus longtemps que la période de dépassement, selon une autre étude, publiée en octobre dernier dans la revue Communications Earth & Environment. « Avec un dépassement de 50 ans, les écosystèmes terrestres sont affectés pendant plusieurs décennies après et les écosystèmes marins encore plus longtemps », explique l’auteur principal de cette étude, Yeray Santana-Falcon, de l’Université de Toulouse. « Il y a de l’inertie dans les systèmes. Les océans sont par exemple des réservoirs de chaleur, lents à réchauffer, lents à refroidir. Les changements de végétation constituent aussi une autre forme d’inertie. »

La commission

Une commission internationale sur le dépassement, l’Overshoot Commission, a été créée en 2022 pour étudier comment un dépassement des cibles climatiques pourrait être temporaire.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE KIM CAMPBELL

Kim Campbell, ancienne première ministre du Canada

« L’objectif primordial que nous proposons est de respecter les cibles en sabrant les émissions », explique l’ancienne première ministre du Canada Kim Campbell, qui fait partie de la commission. « Mais il faut aussi étudier les technologies de captage de carbone au cas où il se produirait un dépassement. Suivre ce type de travaux a été utile personnellement pour diminuer mon anxiété climatique. »

La commission travaille aussi sur la géoingénierie, des technologies de refroidissement direct de l’atmosphère, par exemple avec des parasols géants en orbite ou de l’épandage de suie pour imiter le refroidissement dû aux volcans. « C’est une question de justice intergénérationnelle, dit Mme Campbell. Il ne faudrait pas que nos petits-enfants aient besoin de la géoingénierie, mais ne puissent pas s’en servir parce que nous avons interdit les études. »

En savoir plus
  • De 21 à 24 centimètres
    Augmentation moyenne du niveau de la mer depuis 1880
    Source : NOAA
    1,4 millimètre
    Augmentation annuelle moyenne du niveau de la mer entre 1900 et 2000
    Source : NOAA
  • 3,6 millimètres
    Augmentation annuelle moyenne du niveau de la mer entre 2006 et 2015
    Souce : NOAA