L'abolition totale ou partielle d'une douzaine de programmes de subventions fédérales a galvanisé les artistes québécois et pris de grandes proportions médiatiques, notamment grâce au gala des prix Gémeaux. Au Canada anglais, la politique culturelle conservatrice fait moins de vagues, mais elle a néanmoins été contestée au cours des derniers jours. Au-delà de l'idéologie et de la morale, quel sera concrètement l'impact des coupes?

Un quart du budget de l'Institut national de l'image et du son, mais à peine 5% de celui du Centre canadien du film. Entre 15% et 20% du budget des documentaires indépendants des télédiffuseurs, mais seulement 3% des subventions du Fonds de la musique.

 

Les coupes conservatrices dans les subventions aux organismes culturels ont pris une importance majeure dans la campagne électorale au Québec. Le NPD a inventé l'expression «Conservatueurs de la culture». La controverse a commencé quand des justifications à teneur morale ont accompagné les coupes dans des programmes d'aide aux tournées à l'étranger. Elle a pris une ampleur «nationale» quand un aréopage de vedettes a dénoncé le gouvernement au gala des Gémeaux.

Depuis, des voix discordantes se sont fait entendre. Les artistes mordent la main qui les nourrit, peut-on entendre dans les tribunes téléphoniques, ils devraient se considérer comme chanceux de voyager et de s'amuser pendant que le «vrai monde» s'échine au travail et paie des impôts. Des commentateurs ont comparé les 20, 45 ou 60 millions de dollars de coupes (les chiffres varient selon les analyses) au programme culturel de Patrimoine Canada, qui frise les 780 millions, auquel il faut ajouter les autres postes culturels du budget fédéral, comme Radio-Canada (1,1 milliard) ou le Conseil des arts (120 millions).

«C'est vrai, les sommes ne sont pas énormes dans l'ensemble, concède Raymond Legault, le président de l'Union des artistes. Mais pour certains secteurs, l'impact est important. Les artistes qui profitent de Routes commerciales ne roulent pas sur l'or. Et surtout, on a eu l'impression, avec les premières déclarations sur les coupes, que leur motivation était plus idéologique qu'économique. On a parlé du groupe Holy Fuck, d'un journaliste d'Al-Jazira.»

Normand Latourelle, directeur artistique de Cavalia, a publié dans La Presse l'une des seules interventions à contre-courant. Il estime lui aussi que l'importance des coupes a été exagérée. «Les neuf millions de Prom'art, c'est des pinottes, dit M. Latourelle. Notre chiffre d'affaires est de 30 millions, et nous sommes petits. J'ai engagé voilà un an et demi quelqu'un pour aller chercher des subventions, et je me suis rendu compte que la bureaucratie est beaucoup trop lourde. Nous n'avons même pas pris une subvention de 16 000$ de Routes commerciales parce qu'elle aurait entraîné 40 000$ en frais d'administration. Il y a énormément de fonctionnaires, d'avocats, de comptables et de lobbyistes qui vivent avec ces programmes. Il vaudrait mieux accorder des avantages fiscaux aux artistes ou éliminer les taxes de ventes, ça serait moins lourd.»

Répercussions inégales

Un tour d'horizon des programmes touchés montre que certains secteurs sont plus visés que d'autres. Comparée à l'ensemble de l'industrie documentaire, par exemple, la disparition du Fonds du film et de la vidéo indépendants est insignifiante: 1,5 million sur un chiffre d'affaires de plus de 400 millions. Le Fonds est toutefois l'une des seules avenues pour les documentaires qui n'ont pas d'entente de télédiffusion -par exemple, les vidéos éducatives ou à vocation sociale. La cinquantaine de productions financées avaient un budget total de sept à 10 millions.

La disparition de la subvention de 2,1 millions au Réseau de télévision des peuples autochtones, elle, était prévue. «Nous sommes passés des antennes à la câblodistribution et au satellite, explique le président du Réseau, Jean Larose. Alors nous n'avons plus besoin d'entretenir les antennes. Mais les coupes du programme de formation du film nous font mal, parce que la moitié de nos réalisateurs et scénaristes, une soixantaine en tout, sont passés par l'Institut national de l'écran à Winnipeg.» L'Institut perdra 40% de son budget de deux millions. Son pendant montréalais, l'INIS, voit son budget de quatre millions amputé du quart, alors que le Centre canadien du film, à Toronto, ne perd que 5% de son budget de 11 millions.

Il est plus difficile d'évaluer l'impact de la disparition de Prom'art et de Routes commerciales. Dennis Parker, responsable des exportations à l'Association musicale de la côte Est, signale qu'une subvention de 250 000$ permettait à 20 ou 30 artistes, au cours d'une conférence dans les Maritimes, de rencontrer des acheteurs étrangers invités qui leur organisaient des tournées internationales. L'orchestre La Pietà, d'Angèle Dubeau, a annoncé qu'il devrait annuler une tournée internationale sur deux.

Les revenus des artistes canadiens au cours de tournées internationales sont certainement beaucoup plus élevés que les 15 millions de ces deux programmes de soutien. Pour le seul secteur musical, les données de la SOCAN, qui recueille les droits d'auteurs des compositeurs canadiens, permettent d'estimer qu'ils se situent à 100 ou 200 millions au moins.

 

COUPES DANS LA CULTURE

Progression de l'emploi dans le secteur culturel entre 1996 et 2001

Québec 33%

Canada 18 %

Source: Statistique Canada

Contribution de la culture au produit intérieur brut (PIB)

Ontario 4,2%

Québec 4%

Canada 3,7%

Source: Statistique Canada (moyenne 1996-2001)

Nombre d'emplois dans le secteur culturel

Ontario 252 000

Québec 165 000

Canada 615 000

Source: Statistique Canada (2003)

Le financement public de la culture (% du PIB)

Canada 0,65%

France 0,7%

Royaume-Uni 0,6%

Allemagne 0,4%

Source: ERICarts, Conference Board, Statistique Canada

Contribution de la culture au PIB

Canada 3,5%

France 2,8%

Royaume-Uni 5,8%

États-Unis 3,3%

Source: OCDE, 2002-2003

Contribution de la culture au PIB canadien (principaux secteurs culturels)

Publicité: 0,3%

Vidéo et film: 0,4%

Musique et arts de la scène: 2%

Édition et médias écrits: 1,8%

Télé et radio: 0,5%

Source: OCDE, 2002

Proportion des subventions accordées par...

Le fédéral: 45,4%

Le provincial: 28,6%

Le municipal: 25,3%

Source: ERIcarts, 2003/04

Destination des subventions canadiennes

Littérature et bibliothèques: 7%

Musées et archives: 23%

Arts de la scène: 5,1%

Radio et télé: 49,3%

Arts visuels: 0,7%

Film et vidéo: 10,2%

Source: ERIcarts, 2001/02