Après les problèmes d’approvisionnement, la flambée du prix des conteneurs maritimes, la congestion portuaire et l’augmentation des délais de livraison, un autre défi logistique attend les entreprises dans moins de dix jours : l’interdiction prochaine pour les camionneurs non vaccinés de traverser la frontière canado-américaine.

Cette problématique aura des répercussions à la fois pour les importateurs et pour les exportateurs. D’un côté, il risque d’y avoir moins de chauffeurs pour aller chercher, par exemple, des fruits et légumes de la Californie. De l’autre, les entreprises exportatrices risquent de devoir s’armer de patience pour acheminer leurs produits à destination.

« C’est une autre tuile, comme si nous n’en avions pas eu assez depuis l’arrivée de la COVID-19, lance Stéphan Julien, président du fabricant de cloisons mobiles Moderco. C’est majeur. Entre 75 et 80 % de la production est exportée aux États-Unis. On parle d’entre trois et cinq camions pleins par semaine. »

À compter du 15 janvier, les camionneurs qui désirent entrer au pays devront avoir reçu leurs deux doses de vaccin contre le nouveau coronavirus. L’annonce avait été faite en novembre par l’Agence de la santé publique du Canada. Les États-Unis devraient emboîter le pas d’ici la fin du mois.

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Un camion à la frontière canado-américaine

Selon les plus récentes données du ministère des Transports du Québec, environ 70 % de la valeur des échanges entre le Québec et les marchés du nord-est des États-Unis est acheminée par camion.

L’industrie du camionnage doit composer avec une pénurie de main-d’œuvre depuis plusieurs années. Si des chauffeurs ne peuvent franchir la frontière parce qu’ils ne sont pas complètement vaccinés, il y aura rapidement des conséquences pour les entreprises, croit M. Julien.

« C’est clair qu’il y aura des délais de livraison, dit-il. On s’expose alors à des frais supplémentaires parce qu’on a des échéanciers à respecter. Cela s’ajoute à toute la hausse des prix et la rareté de la matière première. »

Une diminution de la capacité risque également d’accentuer les pressions inflationnistes.

Le milieu des affaires et l’Association du camionnage du Québec (ACQ) sont favorables à la vaccination, mais ils implorent le gouvernement Trudeau et l’administration Biden de repousser l’échéance.

« Tout ce qui a été dit l’a été auprès des ministres concernés, souligne Marc Cadieux, président de l’ACQ. Des accommodements ne semblent pas prévus. »

Le mois dernier, l’Alliance canadienne du camionnage avait interpellé six ministres fédéraux dans une lettre afin de les prévenir des répercussions potentielles. Tout indique que le gouvernement Trudeau ne bougera pas. Dans un courriel, mercredi, Santé Canada a réitéré que de nouvelles mesures entraient en vigueur le 15 janvier.

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Moderco, qui fabrique des murs mobiles, prévoit des retards de livraison si des camionneurs ne peuvent se rendre aux États-Unis.

Claudia Rebolledo, du département de gestion des opérations de la logistique à HEC Montréal, anticipe aussi des impacts s’il y a une diminution de capacité dans l’industrie.

« Par exemple, pour les constructeurs automobiles, ce sont les pièces qui arrivent pour monter les véhicules, explique-t-elle. Si les pièces n’arrivent pas des États-Unis, la chaîne arrête. Les détaillants auront aussi des défis. C’est un autre écueil pour les personnes qui s’occupent de la gestion de la chaîne. »

Une minorité

Selon l’ACQ, le taux de vaccination dans le secteur est similaire au portrait provincial. Au Québec, près de 78 % de la population est doublement vaccinée. À l’échelle du pays, c’est 77 %.

Établie dans le Bas-Saint-Laurent, Miralis, qui se spécialise dans la fabrication d’armoires de cuisine et de salle de bains, suit la situation de près et se croise les doigts. L’entreprise exporte environ 20 % de sa production au sud de la frontière.

On ne peut pas envoyer les factures à nos clients si on est incapables d’expédier. C’est quelque chose de préoccupant. Il faut produire, mais il faut aussi acheminer nos biens.

Valérie Brière, directrice de la marque et des communications de Miralis

L’entreprise fait affaire avec deux entreprises de transport. Ces dernières vont tenter d’embaucher de nouveaux chauffeurs complètement vaccinés, dit Mme Brière. La tâche n’est pas mince dans un contexte où il y a actuellement 20 000 postes vacants à travers le pays.

« Oui, c’est une autre tuile qui nous tombe dessus, dit Mme Brière. Ça ne sera pas magique non plus dans les prochaines semaines. »

Déjà des changements

Sur le terrain, les entreprises de camionnage ont déjà commencé à s’adapter. Trans-West, qui compte 600 employés et dont le siège social se trouve dans l’arrondissement de Lachine, à Montréal, a déjà déterminé quels chauffeurs ne pourront plus traverser la frontière.

« À compter de la fin de la semaine, on sait qui nous n’enverrons pas aux États-Unis, affirme Patrice Gaudet, vice-président, gestion des routiers, de l’entreprise. L’offre de transport va diminuer. Dans tout cela, la capacité d’exportation des petites et moyennes entreprises va aussi diminuer. »

PHOTO FOURNIE PAR TRANS-WEST

Trans-West enverra moins de camionneurs aux États-Unis à compter de la fin de semaine.

Les camions de Trans-West effectuent des allers-retours entre le Québec et la Californie. La compagnie compte notamment parmi ses clients des distributeurs alimentaires. Les trajets s’échelonnent en moyenne sur six jours.

Lui-même vacciné, M. Gaudet se demande néanmoins pourquoi les gouvernements imposent des exigences de vaccination aux camionneurs alors qu’ils sont souvent seuls au volant de leur poids lourd et que leurs contacts sont limités.

« Au début de la pandémie, les routiers étaient reconnus comme des travailleurs essentiels, dit-il. Tout d’un coup, ce sont des parias qui transportent le virus. Cette décision est discutable, selon moi. C’est un double discours. »

M. Cadieux a indiqué que des transporteurs avaient déjà été sollicités par des clients qui demandaient d’être privilégiés en cas de perturbation. Il n’en reste pas moins que la capacité disponible risque d’être réduite dans un peu plus d’une semaine.

120 000

Nombre de camionneurs canadiens qui traversent la frontière. Quelque 40 000 titulaires d’un permis américain le font aussi.