Sophie Brochu est arrivée en tête de liste des femmes les plus inspirantes au Québec, selon un sondage maison réalisé auprès des lecteurs de La Presse, il y a un mois. Nous avons rencontré la PDG d’Hydro-Québec pour discuter des responsabilités et des défis que ce rôle de modèle féminin implique.

Si Sophie Brochu se dit émue par la marque d’appréciation que lui ont témoignée en grand nombre les lecteurs de La Presse, elle tient à relativiser le concert d’éloges dont elle fait l’objet. « Je suis une femme ordinaire qui dirige une organisation extraordinaire », plaide-t-elle, avant d’insister pour faire partager sa vision des transformations importantes que le contexte actuel peut offrir aux femmes pour qu’elles assument davantage leur pouvoir d’influence.

« Il y a présentement une opportunité inespérée d’avancement pour les femmes dans leur position de pouvoir, même si je préfère utiliser le mot “influence”, et qui ne se représentera pas dans un an. C’est là, maintenant, que ça se passe.

« Depuis deux ans, la crise a forcé beaucoup d’entreprises et d’organisations à mettre sur pied des cellules de crise dont a été confiée la gestion à des femmes. La pandémie est une crise d’humains, et il fallait s’occuper de notre monde rapidement. Si elle avait duré trois mois, la crise n’aurait pas eu le même effet.

« La durée de la pandémie a disloqué les repères d’hier, et on arrive à un moment où on réfléchit à la suite des choses. Les femmes qui se sont beaucoup investies pour s’occuper des êtres humains doivent maintenant faire partie de la planification stratégique des organisations », expose Sophie Brochu.

Selon la PDG, les femmes ne doivent pas s’auto-exclure des postes de direction durant le retour à la normale parce qu’elles voudront poursuivre le télétravail, plus pratique pour la gestion familiale, mais les entreprises doivent aussi apporter leur contribution.

« Si tu fais une réunion où il y a quatre personnes autour de la table et six en Teams, la réunion va se poursuivre avec les personnes qui restent sur place. Plutôt que de faire cette réunion à 8 h le matin, il va falloir la faire à 10 h ou à 11 h pour permettre au plus grand nombre d’y assister », soumet la PDG d’Hydro.

La nouvelle réalité d’affaires beaucoup plus respectueuse des enjeux de responsabilité sociale, environnementale et de gouvernance ouvre aussi largement la porte aux capacités et à la sensibilité de gestion plus « rondes » des femmes, estime Sophie Brochu.

« Quand les femmes avancent dans le milieu des affaires, les hommes avancent avec elles. Ils sont plus à l’aise aujourd’hui de discuter de sujets qu’ils n’abordaient pas dans le passé. Le modèle monolithique et consanguin du leader que tout le monde suit, ça ne marche plus. »

Le plafond de verre fissuré

Sophie Brochu constate également qu’on réfère souvent au fameux plafond de verre que les femmes doivent faire éclater pour s’élever dans la hiérarchie des organisations, mais la PDG souligne que durant des années, beaucoup de gens – hommes et femmes – ont fissuré ce plafond pour permettre de le briser plus facilement.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Sophie Brochu, PDG d’Hydro-Québec

Quand j’étais chez Gaz Métro, Robert Tessier [l’ex-PDG] a fait savoir à son réseau que lorsqu’on me parlait, c’était comme lui parler à lui. Il a fissuré le plancher de verre qui était mon plafond, et ça m’a permis de m’imposer beaucoup plus facilement.

Sophie Brochu, PDG d’Hydro-Québec

Sophie Brochu précise par ailleurs qu’elle n’a jamais eu l’impression, durant tout son parcours professionnel, qu’elle menait une lutte. Elle n’a jamais cherché le pouvoir, mais a toujours voulu exercer davantage d’influence.

Elle était féministe sans le savoir, dit-elle. C’est à 50 ans, lorsqu’elle s’est jointe à l’initiative L’effet A, mouvement créé pour propulser l’ambition féminine dans le but d’atteindre une plus grande égalité dans les postes de direction, qu’elle a saisi toute l’importance d’aller au-delà de la seule parité.

« Depuis huit ans, je fais des rencontres à toutes les semaines avec des cohortes de femmes qui ont de 30 à 40 ans. On les accompagne, on reste disponible pour les épauler, et j’en ai vu qui ont commencé par joindre une équipe avant d’accéder à un poste de direction pour devenir vice-présidentes.

« On a toutes les compétences. On est capables de produire de l’EBITDA [bénéfices avant impôts, intérêts, dépréciation et amortissement], mais je suis pour l’atteinte d’un équilibre. Je n’ai jamais cherché à maximiser les profits, mais j’ai toujours cherché à optimiser les profits. On est rendu là », constate Sophie Brochu.

Les mots des lectrices

Lorsque je résume à Sophie Brochu le contenu des réactions de certaines lectrices qui expliquent les raisons pour lesquelles elle est leur personnalité féminine la plus inspirante, la PDG ne cache pas un certain embarras, mais accepte de les commenter.

Lorsqu’on admire son humanisme, elle répond qu’elle est une femme ordinaire qui dirige une organisation extraordinaire.

Lorsqu’on souligne sa franchise, elle réplique que c’est parce qu’elle ne pratique pas la langue de bois.

J’ai toujours été en mesure de dire ce que je pense, que ce soit chez Énergir ou chez Hydro-Québec. Je me suis prononcée sur plusieurs enjeux sociaux, que ce soit la pauvreté ou la prostitution. Les gens apprécient cet engagement, je pense.

Sophie Brochu, PDG d’Hydro-Québec

Lorsqu’une lectrice dit l’admirer pour la compassion dont elle est capable, Sophie Brochu convient qu’elle peut être dure sur certains enjeux, mais toujours bienveillante envers les gens.

Ses talents de communicatrice que l’on décrit comme hors pair ? « J’aime parler de ce que j’aime, je veux partager et faire comprendre les enjeux que je connais bien, sinon je préfère me taire. »

Sa simplicité et son humilité. Là, la PDG prend un temps avant de répondre. « Je suis super émue par ce que j’entends. Je peux seulement répondre que si je suis perçue comme ça, c’est parce que c’est comme ça que j’ai été élevée. »

Sa vivacité d’esprit et son intelligence ? « Je n’ai jamais voulu le pouvoir, j’ai toujours voulu avoir de l’influence, pouvoir avoir un impact là où je vois que ça peut faire avancer les choses. Un patron m’a dit un jour : “Si tu veux avoir du succès en affaires, entoure-toi de gens plus forts que toi.” C’est ce que je fais. »

Est-ce qu’elle a elle-même eu des modèles féminins qui l’ont inspirée ?

« Quand j’étais jeune débutante comme économiste à la SOQUIP [Société québécoise d’initiatives pétrolières], j’ai dû faire une présentation à Lise Bacon, qui était ministre de l’Énergie et vice-première ministre du Québec. Elle m’avait beaucoup impressionnée, elle était l’homme fort du gouvernement, capable de tenir tête à tous ses collègues masculins. »

Comment vit-on quand on est ainsi élevée au rang de modèle féminin dans la gestion des affaires ? Est-ce un rôle avec lequel il est confortable de vivre ?

« Tant mieux si je suis un modèle. On est rendu là, avec une femme à la tête d’Hydro-Québec, on est vraiment rendu là. À 58 ans, j’achève ma ride, mais je dis aux femmes de 22, 25, 30 ans : allez-y, c’est le temps comme jamais. Prenez cet élan et travaillez avec les hommes et les femmes qui vous entourent, c’est votre place. »