(Ottawa ) Tout a commencé par un coup de fil inopiné, comme c’est souvent le cas dans le monde des affaires lorsque d’importantes transactions voient le jour.

La pandémie de COVID-19 ayant mis en relief la vulnérabilité du Canada en matière d’approvisionnement en équipements de protection individuelle et en vaccins, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, avait un ambitieux projet en tête : reconstruire le secteur de la biofabrication au pays.

À ses yeux, si on n’avait pas choisi le moment où la COVID-19 a frappé le Canada de plein fouet et si on ne pourra pas choisir le moment de la prochaine pandémie, on pouvait au moins choisir si le pays serait mieux préparé à l’affronter.

C’est avec ce fil conducteur bien ancré dans sa philosophie de ministre du cabinet fédéral qu’il s’est lancé dans une opération de longue haleine pour convaincre le grand patron de Moderna, Stéphane Bancel, d’ouvrir une usine au Canada, à l’hiver 2021. Il avait réussi à mettre la main sur le numéro de cellulaire du PDG du géant pharmaceutique, qui a mis au point l’un des vaccins contre la COVID-19 les plus utilisés dans le monde avec celui conçu par Pfizer. Ce précieux numéro, il l’avait obtenu grâce aux proches collaborateurs de sa collègue du cabinet responsable de Services publics et Approvisionnement Canada, Anita Anand, qui a depuis été nommée ministre de la Défense nationale.

Quelques mois auparavant, le gouvernement Trudeau avait conclu des contrats d’achat de millions de doses de vaccins avec quelques entreprises pharmaceutiques, dont Moderna, afin d’être en mesure de lancer une vaste campagne de vaccination.

Je l’ai appelé sans préavis. Je lui ai dit que l’on devait se parler de l’avenir.

François-Philippe Champagne, dans une entrevue avec La Presse

L’avenir, cela voulait dire des investissements de Moderna au Canada. Cette société pharmaceutique n’avait pas d’usine à l’extérieur des États-Unis. Ce « cold call », comme il l’a décrit, a été suivi d’un texto envoyé à 16 h 58, le 2 février 2021. « J’aime la vision. Réalisons-la ensemble », lui a-t-il simplement écrit après leur première discussion.

C’était le début d’une série d’échanges de textos et d’appels téléphoniques entre les deux hommes. Au fil des semaines, des liens de confiance ont été établis. Les discussions ont été soutenues et marquées par la bonne entente. La ténacité du ministre Champagne a fini par porter ses fruits, débouchant sur des négociations formelles entre le gouvernement fédéral et les représentants de Moderna.

Six mois plus tard, en août 2021, le patron de Moderna venait à Montréal pour annoncer que le géant pharmaceutique comptait installer ses pénates au Canada. Le lieu définitif serait annoncé plus tard après une évaluation des avantages qu’offraient certaines villes canadiennes, en particulier la région de Montréal et celle de Toronto. Le ministre Champagne était évidemment tout sourire lors de cette conférence de presse, tenue quelques jours avant le déclenchement des élections fédérales.

« Tout investissement commence par un appel ou un texto », souligne au bout du fil le ministre, qui carbure à la recherche de nouveaux investissements.

Une longueur d’avance

Après cette première annonce, François-Philippe Champagne a continué d’envoyer des textos au PDG de Moderna. Il l’a aussi appelé à plus d’une reprise, question de maintenir les canaux de communication bien allumés. La sixième vague de la pandémie marquée par le variant Omicron a reporté de quelques mois l’annonce finale de Moderna quant au choix de la ville. Mais le ministre Champagne croyait dans son for intérieur que Montréal avait une petite longueur d’avance en raison de la présence de l’industrie pharmaceutique et des universités bien reconnues.

Le fait que la métropole soit francophone a également été un élément qui a séduit Stéphane Bancel, qui est natif de Marseille. La décision est finalement tombée le 29 avril. Justin Trudeau et son homologue québécois François Legault étaient présents à l’annonce, tout comme plusieurs ministres influents des deux gouvernements.

Le style du ministre Champagne détonne. Dans les cercles du pouvoir à Ottawa, plusieurs le décrivent comme le « lapin Energizer ». Même Justin Trudeau lui a donné ce titre durant la conférence de presse du mois dernier.

Ayant travaillé dans le secteur privé avant de faire le saut en politique en 2015, il donne l’impression d’être davantage le « CEO du gouvernement » qu’un ministre. Chose certaine, son style tranche avec celui de ses prédécesseurs, qui n’avaient pas tendance à prendre ainsi les devants pour attirer les investissements au pays.

Ce n’est pas tout le monde sur la planète qui se lève le matin en pensant au Canada. Moi, je le fais, mais ce n’est pas tout le monde. Il faut donc amener notre message que le Canada, c’est un partenaire de choix dans cette transition économique verte.

François-Philippe Champagne

Aux yeux de plusieurs, la vision de l’économie qu’il réussit à articuler auprès de ses collègues du Cabinet, auprès des gens d’affaires au pays et auprès des investisseurs étrangers rappelle celle d’un autre ministre de l’Industrie qui s’est illustré en dotant le pays d’une véritable politique industrielle qui a transformé l’économie canadienne après la Seconde Guerre mondiale : C. D. Howe.

« François-Philippe Champagne est partout en train d’appeler et d’attirer les investisseurs au Québec et partout au Canada. Il livre la marchandise partout au pays. […] Chaque fois qu’il m’appelle, il me dit : "OK, boss, j’ai un deal pour toi" », a raconté Justin Trudeau durant la conférence de presse du 29 avril.

Il faut dire que le ministre, qui a lu la biographie de C. D. Howe, déploie la même énergie pour attirer des investissements stratégiques dans les secteurs clés tels que l’aérospatiale, la filière des batteries pour les véhicules sans émission, la fabrication de véhicules électriques, ainsi que l’accès à l’internet à haute vitesse dans l’ensemble des régions du pays. Il veut ajouter dans sa ligne de mire le développement de l’hydrogène vert.

Les gens d’affaires saluent le style fonceur du ministre Champagne. « Le ministre Champagne comprend le monde des affaires. Il comprend que le Canada doit affronter une compétition féroce pour attirer des talents et des investissements. Les Canadiens sont bien servis en ayant un ministre qui a une expérience internationale dans le monde des affaires et qui transporte avec lui le drapeau canadien et dit aux investisseurs : choisissez le Canada », a affirmé Goldy Hyder, PDG du Conseil canadien des affaires, qui souhaiterait toutefois que la même philosophie soit mise de l’avant quand il s’agit de construire des infrastructures au pays.