La police a trouvé une liste de clients de Desjardins contenant 36 025 lignes dans un ordinateur lié à un fraudeur récidiviste, révèlent des portions jusqu’ici caviardées de documents sur le vol massif de données au Mouvement.

Après les démarches des médias, la cour a accepté de lever un peu plus le voile sur des mandats de perquisition qu’a obtenus la Sûreté du Québec (SQ) au cours de son enquête concernant la fuite de données qui avait touché 9,7 millions de clients de Desjardins. Les allégations que contiennent ces documents n’ont toujours pas subi l’épreuve des tribunaux ni même mené à des accusations criminelles.

Juan Pablo Serrano, 36 ans, a reçu deux fois la visite de la SQ dans le cadre de l’enquête, qui dure depuis plus de trois ans. En septembre 2020, lors d’une perquisition à Mirabel, les policiers ont trouvé le fichier dans un ordinateur saisi à l’intérieur d’un véhicule lié à ce suspect.

La liste que les policiers ont trouvée contient « 36 025 lignes de renseignements nominatifs qui semblent provenir de chez Desjardins et en lien avec des clients de cartes de crédit », selon le document policier.

Certains des noms que contenait la liste étaient écrits en rouge, ou surlignés en jaune, note la SQ dans une déclaration sous serment.

La levée du caviardage de déclarations policières révèle aussi que les enquêteurs s’intéressaient à des portefeuilles de cryptomonnaies lorsqu’ils se sont rendus chez Serrano pour la première fois, en septembre 2019.

Les fraudeurs en ligne se servent régulièrement de monnaies virtuelles pour réaliser des transactions illégales, comme l’achat ou la vente de données financières volées.

Lourd passé

Les autres suspects connus dans l’affaire du vol de données sont un groupe de courtiers de Québec soupçonnés d’avoir acquis les renseignements pour faciliter leurs activités légales de prêts hypothécaires, de prêts privés et d’assurance.

De son côté, Serrano traîne un lourd passé criminel : fraude, vol, entrave à une enquête policière, infractions liées à des cartes de crédit… Il a aussi plaidé non coupable à de nouvelles accusations de non-respect des conditions et son procès doit se dérouler en octobre.

Selon les documents qu’a consultés La Presse, la SQ le soupçonnait aussi en 2019 de se déplacer avec un garde du corps reconnu pour être dangereux et armé.

Cette année-là, le profil de Serrano sur le réseau professionnel LinkedIn indiquait qu’il était « directeur ventes » chez Urgence Crédit, mentionne la SQ. Cette entreprise appartient à Mathieu Joncas, l’un des hommes d’affaires de la capitale soupçonnés d’avoir mis la main sur les données volées.

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Mathieu Joncas, autre suspect dans l’enquête

En juin dernier, ce courtier hypothécaire et prêteur privé a écopé d’amendes de 36 000 $ et de 420 jours de suspension de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ). Le comité de discipline l’a reconnu coupable d’avoir acheté des listes de 150 000 à 200 000 clients de Desjardins d’un autre suspect dans l’enquête, sans qu’ils aient pu y consentir.

Lors d’un court entretien avec La Presse en janvier, Serrano n’a pas voulu préciser le travail qu’il a réalisé pour Joncas. « Ç’a été très bref. Vu que j’avais des antécédents en matière de fraude, je n’ai pas terminé mon travail. »

En janvier, Joncas affirmait dans un entretien que Serrano n’avait jamais travaillé pour lui.

Perquisition robuste

Toujours en janvier dernier, Serrano avait ressassé ses douloureux souvenirs de la première perquisition qu’il a subie dans cette affaire, en septembre 2019.

Des policiers lourdement armés avaient alors fait irruption dans un condo qu’il louait à Laval pour mettre la main sur des éléments de preuve dans le cadre de l’enquête. « Est-ce que c’est écrit dans le rapport de police qu’ils m’ont disloqué une épaule en me jetant par terre ? », avait-il alors demandé à La Presse.

La SQ dit avoir décidé de faire une « entrée dynamique » chez lui parce qu’elle craignait qu’il ne supprime des données « dans un très court laps de temps » grâce à sa « sophistication informatique ».

La police avait découvert dans son condo du « papier pour faire des chèques », des traites bancaires totalisant 76 913 $ et près de 9000 $ en billets de banque.

La SQ avait aussi mis la main sur un chèque pour acheter 4628 $ d’or.

En janvier, Serrano avait assuré à La Presse que l’argent liquide saisi appartenait en fait à un ami qui se trouvait dans le condo au moment de la perquisition.