Cette semaine, la candidate à la présidence de la FTQ Magali Picard, ex-vice-présidente nationale exécutive de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), répond à nos questions sur le leadership.

Quand vous étiez à la vice-présidence nationale de l’Alliance de la fonction publique du Canada (le grand syndicat pancanadien de fonctionnaires fédéraux), vous avez mené une longue bataille contre les ratés du système de paye Phénix. En 2022, une femme leader doit-elle sortir ses gants de boxe pour faire avancer des dossiers difficiles ?

J’ai surtout envie de répondre en disant que le temps est venu d’élargir notre conception du leadership. Comme femme autochtone, j’ai toujours milité pour être la voix de toutes et de tous. Je l’ai fait en misant sur le pouvoir avec les autres, et non le pouvoir sur les autres. Le « pouvoir avec », c’est miser sur le travail d’équipe, se laisser influencer par les autres et être capable de changer d’idée. Le « pouvoir sur », c’est le modèle traditionnel top-down où il y a un leader qui prend des décisions et les impose, où changer d’avis est perçu comme un signe de faiblesse plutôt que comme une force.

En travaillant avec les autres, en faisant en sorte que les partenaires autour se sentent valorisés et respectés, ça nous donne des forces extraordinaires et on peut faire avancer les dossiers difficiles. Non pas avec des gants de boxe, même si de temps en temps il se peut qu’on en ait besoin, mais en 2022, c’est davantage par nos exemples, par notre style de leadership et par un travail inclusif qu’on peut y arriver.

Comment peut-on inspirer les femmes à fracasser les plafonds de verre et à accéder aux postes décisionnels ?

Il n’y a pas de recette magique. Il faut absolument, tous les jours, se lever en se donnant comme mission de prendre des décisions en n’excluant personne. Beaucoup de personnes se sentent exclues des postes de pouvoir parce que les conceptions collectives du leadership demeurent ancrées dans des notions coloniales, capitalistes, patriarcales et blanches… homme blanc en veston, top-down… Au Canada, il y a un tiers des femmes qui sont dans des postes de leadership, seulement 5 % siègent à des conseils d’administration de grandes entreprises et pour les groupes d’équité, on tombe à 1 %.

Même comme femme, lorsqu’on veut donner un mandat à quelqu’un, nos premiers réflexes sont d’aller vers cette conception du leadership. Il faut déconstruire ça. Il faut entendre ce qui manque aux personnes venant de groupes d’équité comme moi pour se sentir soutenues et inspirées.

À partir du moment où les femmes et les membres des groupes d’équité vont se sentir confortables, se sentir sur leur x et avoir confiance, on va continuer à fracasser les plafonds de verre.

Quelle est la première étape urgente à faire pour éliminer les iniquités dans les organisations et les entreprises ?

Vous ne serez pas étonnée de ma réponse, mais je pense que la syndicalisation permet d’amorcer des transformations et de faire des gains importants. Il n’y a pas une solution miracle qui peut être appliquée uniformément à tous les milieux. Il y a de petites et de grandes solutions qui doivent constamment être revisitées, parce que le contexte change.

Je crois que les syndicats dans les milieux de travail forcent les employeurs et les entrepreneurs à mettre des lunettes d’équité et à respecter la différence. Quand tu es un chef d’entreprise, quand tu es un leader, que ce soit dans un syndicat ou n’importe quelle sphère de travail, il est important de ne pas laisser tomber de projet, de programme et de gens. Quand on en oublie, c’est parce qu’on n’a pas le réflexe de les voir nous-mêmes par nos origines et nos religions. En travaillant avec des gens différents, on s’assure de couvrir tous les angles morts.

On parle souvent du fait que les problèmes et enjeux sont systémiques. Il faut que les solutions deviennent elles aussi systémiques.

Est-ce possible d’insuffler de la justice sociale dans nos façons de gouverner et de gérer des travailleurs ?

C’est ce à quoi j’aspire et ce à quoi je travaille depuis le début de mon implication syndicale. Je pense qu’il y a deux composantes clés. Il faut agir à partir des valeurs d’inclusion, de justice, d’égalité ou d’équité. Lorsque j’étais dans mon syndicat d’origine, l’Alliance de la fonction publique du Canada, nous avons fait une campagne qui s’appelle « Soif de justice » parce qu’encore aujourd’hui, plusieurs communautés autochtones n’ont pas accès à l’eau potable. Pouvons-nous croire qu’en 2022, au Canada, des personnes vivent encore dans des conditions pareilles ? Le statu quo est clairement inacceptable.

Il faut aussi agir en fonction de ces valeurs en acceptant que parfois ce soit difficile ou ce n’est pas « payant » sur le coup, mais ça change la dynamique et, ce faisant, ça transforme les milieux. Être leader, c’est accepter de prendre des décisions difficiles…