Le grand départ
Le Québec est un des plus importants producteurs d’aluminium au monde et il fournit la matière première nécessaire à la fabrication des canettes de bière et d’autres boissons. Huit des neuf alumineries installées au Canada sont au Québec. Presque toute la production québécoise d’aluminium, soit près de 90 %, est exportée aux États-Unis.
Devenir canettes
Les lingots doivent d’abord franchir la frontière. Les fabricants de canettes d’aluminium sont à peu près tous situés aux États-Unis. Avant de devenir des contenants de bière, le métal doit être transformé en feuilles dans des laminoirs situés aussi en sol américain. Des entreprises comme Novelis et Steel Dynamics profitent de l’engouement croissant pour la canette. Elles viennent d’annoncer des investissements de plusieurs milliards de dollars dans de nouvelles installations de laminage pour répondre à la demande croissante des fabricants de canettes d’aluminium.
Santé !
Les brasseries québécoises, petites et grandes, s’approvisionnent toutes auprès des fabricants américains comme Crown Holdings ou Ball Corporation, dont le siège social est au Colorado et qui a des installations à Whitby, en Ontario, et dans l’État de New York, plus près de Montréal. L’aluminium québécois accumule les kilomètres et revient sous forme de canettes qui seront ensuite remplies de boissons houblonnées par les brasseurs situés aux quatre coins de la province. Il s’est vendu et bu plus d’un milliard d’unités en 2021, pour la bière seulement.
Des rebuts de 24 millions
Les canettes de bière sont des contenants consignés qui ont une grande valeur sur le marché du recyclage. C’est ce qui explique leur taux de récupération élevé, soit 70 % pour les petites canettes et 93 % pour les grandes. Au total, les canettes récupérées rapportent 24 millions aux producteurs qui les récupèrent et qui se partagent la somme selon leur part du marché.
Retour aux États-Unis
L’aluminium est la matière qui a la plus grande valeur sur le marché de la récupération. Les récupérateurs comme RecyCan, une entreprise privée qui appartient en parts égales à Molson et à Labatt, ramassent les canettes d’aluminium dans les points de vente. Ils obtiennent 1500 $ le ballot d’une tonne chez Tomra, le géant norvégien dont les installations québécoises de conditionnement des canettes sont à Baie-d’Urfé. Tomra sert d’intermédiaire entre les récupérateurs et les recycleurs, à qui les ballots sont finalement revendus. Tous ces recyleurs de canettes sont américains, ce qui fait que la canette écrasée reprend son voyage vers les États-Unis pour y être refondue à 700 degrés Celsius, reformée en feuilles et en canettes, pour éventuellement être rachetée par les brasseurs québécois, remplie et bue ici.
La meilleure solution ?
La canette d’aluminium est recyclable à l’infini, mais le trajet qu’elle fait diminue les vertus environnementales du processus de recyclage, estime Mario Laquerre, professeur au Centre de formation en environnement et en développement durable de l’Université de Sherbrooke. Selon lui, le processus de récupération et de recyclage des canettes d’aluminium produit plus de gaz à effet de serre que la récupération, le lavage et la réutilisation des bouteilles de verre.
C’est vraiment dommage que l’industrie brassicole ait pris cette tangente-là.
Mario Laquerre, professeur au Centre de formation en environnement et en développement durable de l’Université de Sherbrooke
Selon Recyc-Québec, la bouteille de verre qui peut être réutilisée jusqu’à dix fois est supérieure sur le plan environnemental à la canette d’aluminium quand on considère le cycle de vie du produit.
Le fait que la bouteille de verre soit en voie de disparition va à contre-courant des pratiques qui encouragent la réutilisation des contenants de toutes sortes, selon Mario Laquerre. « C’est une incongruité, une de plus, de notre système de récupération et de recyclage. »
Le rêve de canettes locales
Le projet de fabriquer au Québec les canettes d’aluminium dont la consommation est en forte hausse n’est pas mort, mais il n’a pas beaucoup avancé au cours des dernières années. Même Alu-Québec, la grappe industrielle créée pour accroître l’utilisation de l’aluminium au Québec, y croit plus ou moins. « Notre volume de canettes n’est pas suffisant pour justifier un investissement dans un laminoir. Ça coûte des milliards », résume Danielle Coudé, responsable du Chantier valorisation et recyclage.
Le long voyage des canettes dérange plusieurs des membres de l’Association des microbrasseries du Québec, selon sa directrice générale, Marie-Ève Myrand. La canette d’aluminium est si populaire que l’approvisionnement est parfois difficile, dit-elle. Certaines microbrasseries ont dû en faire venir de Chine et du Mexique. « Ce qu’on craint surtout, c’est que le contenant à remplissage multiple en vienne à disparaître, ce qui serait un recul sur le plan environnemental. »
Le circuit de la canette
Voici un circuit théorique qui relie les installations de production d’aluminium du Québec aux transformateurs de métal les plus proches.
- De l’aluminerie du Saguenay au laminoir de Novelis à Oswego, dans l’État de New York : 847 km
- Du laminoir aux installations du fabricant de canettes Ball, dans l’État de New York : 272 km
- De l’usine de Ball à Montréal : 302 km
Total du lingot au gosier : 1421 km
Les distances indiquées sont pour un circuit théorique entre les installations les plus rapprochées. Les canettes voyagent probablement bien davantage.