(Toronto) Les ménages canadiens et l’économie dans son ensemble se sont révélés étonnamment résilients face à la hausse des taux d’intérêt, ont observé vendredi les économistes des grandes banques du pays, ce qui pourrait compliquer la lutte contre l’inflation.

« Il ne fait aucun doute que l’économie avait beaucoup plus de dynamisme à la fin de l’année dernière que ce à quoi tout le monde s’attendait », a observé vendredi l’économiste en chef de la Banque de Montréal, Douglas Porter, lors d’une table ronde organisée par l’Economic Club of Canada sur les perspectives pour l’année à venir.

Les données sur le marché du travail publiées la semaine dernière ont causé la surprise en montrant que l’économie avait créé 104 000 emplois en décembre, tandis que les défauts de paiement sur les versements hypothécaires restaient autour de creux historiques.

M. Porter a toutefois rappelé que l’histoire montrait qu’une récession était inévitable lorsque les taux d’intérêt augmentaient aussi rapidement qu’ils l’ont fait l’an dernier, et que la résilience pourrait compliquer la lutte contre l’inflation.

« La réalité est que si l’économie reste trop forte, les taux iront encore plus haut. »

Bien qu’il existe un risque d’avoir recours à des hausses de taux d’intérêt pour refroidir l’économie, il est possible que la résilience démontrée jusqu’à présent conduise au refroidissement en douceur tant espéré par les décideurs, a souligné l’économiste en chef de la Banque Scotia, Jean-François Perrault.

« C’est une chose inquiétante, dans le sens où cela peut signifier qu’on a des taux plus élevés, a fait valoir M. Perrault. Le revers de la médaille est peut-être que ce Saint Graal d’un atterrissage en douceur n’est plus mythique et que nous pourrions en fait le réaliser. »

L’économiste en chef de la Banque TD, Beata Caranci, a souligné que la santé de l’économie — ainsi que le fait que de nombreuses industries, comme celle de la fabrication, étaient encore assez dépendantes des tendances d’embauche — faisait en sorte qu’une récession entraînerait probablement beaucoup moins de pertes d’emplois que d’habitude.

« Nous avons environ 100 000 pertes d’emplois cette année, ce qui ne sera pas peu, ou simple pour ces 100 000 personnes et leur famille, si cela se produit. Cependant, cela représente le tiers de ce qui se produirait normalement en période de récession. »

Le décalage des hausses de taux d’intérêt

L’économiste en chef de la Banque Royale, Craig Wright, a affirmé que la banque s’en tenait à sa prévision d’une récession, comme elle le prévoit depuis juillet, alors qu’un certain nombre de vents favorables à long terme, notamment le libre-échange, le crédit bon marché et la main-d’œuvre à faible coût, s’inversent.

Il a noté que les effets des augmentations rapides des taux ne s’étaient toujours pas concrétisés en raison du décalage temporel nécessaire pour qu’elles frappent l’économie.

« Il y a donc encore beaucoup de douleur à venir. »

M. Wright s’attend cependant à ce que le ralentissement, délibérément imposé par les taux d’intérêt, fasse son travail et ramène l’inflation dans la fourchette cible de 1 % à 3 % la Banque du Canada d’ici la fin de l’année.

D’autres ne sont pas si convaincus que l’inflation pourra baisser si rapidement, M. Porter notant que l’inflation sous-jacente, qui élimine certains prix volatils comme ceux de l’énergie, semblait stagner à environ 5 % et qu’il sera difficile de faire reculer cela à mesure que les attentes changent.

« C’est ce qui va être le plus difficile à casser. Il a été relativement facile de faire passer l’inflation de 8 % à 6 % avec le recul des prix de l’essence, mais c’est la prochaine étape vers le bas, jusqu’à 2 %, qui, je pense, va être un peu un peu plus difficile. »

Mme Caranci a également noté que des facteurs émergents, comme la réouverture de l’économie chinoise, pourraient également faire remonter les prix de l’énergie. Sa banque prévoit que le pétrole remontera à 90 $ US le baril, ce qui compliquerait davantage la lutte contre l’inflation.

Dans l’ensemble, il faudra un certain temps avant que les économistes sachent à quel point la forte hausse des taux d’intérêt fonctionne et comment elle se répercutera sur les ménages et l’économie dans son ensemble.

« La politique monétaire met beaucoup de temps à avoir un impact, a rappelé M. Perrault. Vous l’augmentez beaucoup, puis vous devez attendre pour voir si cela fonctionne ou non. Et c’est le défi que nous avons. »