Les Éleveurs de porcs du Québec souhaitent mettre en place un mécanisme volontaire de retrait de la production

Partir ou rester ? Après avoir affronté de nombreuses tempêtes, les éleveurs de porcs qui souhaitent quitter le navire se font tendre une bouée.

Réunis en assemblée générale extraordinaire, lundi, ils ont voté en faveur de la mise en place d’un programme de rachat pour les éleveurs qui souhaitent se retirer de la production pour au moins cinq ans. Doté d’un fonds de compensation de 80 millions, il visera à réduire de 1 million le nombre de porcs d’engraissement élevés dans la province.

Les quelque 1530 fermes porcines du Québec élèvent annuellement environ 6,8 millions de bêtes.

La Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec – un tribunal administratif – devra toutefois donner son aval afin que le mécanisme de retrait de la production soit mis en place.

« Les producteurs vont avoir un choix à faire », a expliqué le président des Éleveurs de porcs du Québec, David Duval.

Soit tu quittes avec le programme ou soit tu restes et on te donne un avenir.

David Duval

David Duval a accordé une rare entrevue à La Presse avant la tenue de l’assemblée générale extraordinaire de lundi après-midi. Au cours de cette réunion d’urgence qui a duré deux heures et demie, les membres du syndicat agricole se sont prononcés pour l’imposition d’une cotisation spéciale servant à financer ce mécanisme de retrait volontaire de la production.

À 92 %, ils ont voté en faveur.

Cotisation spéciale

Pour ceux qui choisiront de rester, cette contribution s’élèvera en moyenne à 2,85 $ pour chaque bête mise en marché. Les Éleveurs de porcs projettent que cette cotisation sera nécessaire pour environ cinq ans.

« Le programme ne réglera pas tout, mais il va être capable d’atténuer le choc d’une diminution comme il va y en avoir au cours des prochains mois », croit M. Duval.

Fermeture du marché chinois, pandémie de COVID-19, pénurie de main-d’œuvre, conflit de travail dans une usine d’abattage : depuis quelques années, l’industrie porcine est secouée par une crise sans précédent.

On a vécu plusieurs tempêtes, l’une après l’autre.

David Duval, président des Éleveurs de porcs du Québec

Depuis octobre 2021, les abattoirs du Québec ont transmis aux producteurs des « avis de réduction d’achats » qui totalisent plus de 1,7 million de porcs. Le mécanisme de retrait vise donc à arrimer l’offre et la demande.

« Même si ça peut amener un petit pincement au cœur de dire qu’une production qui était un fleuron il y a trois ou quatre ans, aujourd’hui, elle est en train de faire un programme de rachat. Mais regarde, on n’a pas le choix. Il faut se retrousser les manches. Faire deux pas en arrière et réavancer après. »

Qui va payer ?

Une portion importante du fonds de 80 millions risque d’être payée par les contribuables. David Duval explique que les producteurs pourront inclure le montant de la cotisation spéciale dans leurs frais de « mise en marché ».

La logique va comme suit. Si les producteurs reçoivent un revenu annuel qui est supérieur à leurs coûts de production, ils devront assumer entièrement le coût de la contribution spéciale.

En revanche, si les revenus que les producteurs reçoivent sont en deçà de leurs coûts de production, le Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) sera déclenché pour cette année-là. Géré par la Financière agricole du Québec, l’ASRA est financée aux deux tiers par les contribuables québécois.

C’est donc dire que, théoriquement, les contribuables pourraient avoir à allonger près de 53 millions sur la cagnotte de 80 millions.

Minimum de cinq ans

Les producteurs qui décident de quitter la ferme devront le faire pour un minimum de cinq ans.

« Le producteur ne pourra pas arriver au bout de cinq ans et dire “je reviens” s’il n’y a pas de demande et si les transformateurs sont encore dans une période où ils disent : “non, on est confortable avec ce qu’on a comme production. On ne veut pas augmenter” », explique M. Duval.

Les producteurs qui souhaitent se retirer devront présenter une soumission dès avril. Elle sera analysée par une firme indépendante. Les Éleveurs de porcs procéderont alors par « enchère inversée » ou « plus bas soumissionnaire ».

Ça fait en sorte que les producteurs qui vont miser le plus bas vont être les premiers à sortir. Après ça, on va aller en gradation.

David Duval

« Ce n’est pas un fonds pour mettre le monde riche, c’est vraiment le minimum du minimum », précise-t-il. « C’est juste d’avoir une certaine décence en sortant de la production, de payer tes dettes. »

Sortir les porcelets

Lors de leur assemblée générale, les producteurs se sont aussi prononcés en faveur de la mise en place d’une deuxième enveloppe de 5 millions. Elle servira à dédommager des « places vides » dans les porcheries pour pallier la vente de porcelets à l’extérieur du Québec au lieu de les envoyer dans des parcs d’engraissement.

« Avec les diminutions de production qui s’annoncent, il faut être capable de diminuer le plus rapidement possible », explique M. Duval au sujet de cette mesure de transition. « À partir du moment où j’arrête l’insémination, ça va me prendre 10 mois avant d’en voir l’effet, avant que je n’aie plus de cochons qui sortent de la ferme », illustre-t-il.

« Sans pression »

Si un nombre insuffisant de fermes levaient la main pour partir, un « règlement de restriction » serait alors mis en place.

« Si on devait encore diminuer parce qu’on n’a pas atteint notre objectif, tous les producteurs vont devoir diminuer du pourcentage qu’on va avoir établi. Par exemple, si c’est 3 %, bien tout le monde va diminuer de 3 % [le nombre de porcs] à l’intérieur de sa ferme. »

Pour David Duval, le plus important est avant tout de ne « mettre de pression » sur aucune ferme. Il espère aussi redonner « espoir » à tous les producteurs.

« Moi, je vais rester dans la production. Je n’embarquerai pas dans un programme de rachat parce que j’y crois, j’y crois pour moi, mais j’y crois aussi pour ma prochaine relève, qu’elle soit apparentée ou non. J’y crois pour eux. Je me dis tout le temps, il faut que je leur donne cet avenir-là. »

« On arrive à avancer d’un petit pas chaque jour »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

David Duval, président des Éleveurs de porcs du Québec

L’industrie porcine québécoise est secouée par une crise sans précédent. Le président des Éleveurs de porcs du Québec, David Duval, qui s’est tenu loin des projecteurs depuis des mois, a accordé à La Presse sa première entrevue de fond sur le sujet.

Depuis le mois d’août, l’ex-ministre libéral Raymond Bachand pilote un processus de conciliation entre les Éleveurs de porcs et les abattoirs pour convenir de votre prochaine formule de prix. Comment se passe la renégociation de votre convention de mise en marché ?

On est toujours en processus de conciliation. Ça avance dans la bonne direction, et je suis confiant qu’on va y arriver.

Êtes-vous près de conclure une entente de principe ?

Depuis trois semaines, on est dans un blitz de rencontres parce qu’on voit que l’été s’en vient et qu’il faut arriver à conclure. Je ne suis pas là pour me plaindre, mais on passe facilement un 10 à 12 heures par jour à négocier. Tous les soirs, on a une rencontre avec le conciliateur pour voir où on a évolué dans nos points et refaire un petit brainstorming avec les acheteurs. Et c’est pour ça que je trouve que ça avance bien. On ne dort pas beaucoup ces temps-ci parce qu’on essaye de trouver toutes les façons de faire pour arriver ensemble à se positionner. […] On arrive à avancer d’un petit pas à chaque jour.

L’industrie du porc traverse une série de tempêtes. Quelles sont les causes principales de vos difficultés ?

70 % de notre production est exportée. On avait quand même une très grande exposition sur les marchés internationaux, et le marché de la Chine est un marché extrêmement instable qui réagit sans avertir et de façon très, très aléatoire. Du jour au lendemain, elle peut ôter à une usine son certificat pour pouvoir exporter. C’est une des prémisses à tout ça. Ensuite, c’est sûr qu’il y a eu la COVID-19, la fermeture d’abattoirs et le départ de beaucoup de main-d’œuvre au niveau de ces abattoirs-là. On est contents qu’aujourd’hui, on ait réglé le problème de faire venir des travailleurs étrangers parce que ç’a été une période difficile pendant deux ans. Ç’a été extrêmement difficile pour les transformateurs. Aujourd’hui, on peut compter sur ces travailleurs-là qui commencent à rentrer depuis quelques mois. C’est sûr que ça va ramener la rentabilité.

Quelle est la responsabilité d’Olymel, qui abat 80 % des porcs au Québec, dans la crise ?

Autant on pouvait être fiers quand Olymel arrivait à tirer son épingle du jeu sur la scène internationale, canadienne et américaine qu’après ça, on peut arriver et dire : « Ah ! Ça n’a pas de bon sens, il y a un quasi-monopole. » Moi, je n’embarque pas dans ce genre de discours là. J’embarque plutôt dans une vision de comment faire mieux, ensemble.

Quel est votre lien avec Olymel ?

Je produis 36 000 porcs par année. J’en ai à peu près les deux tiers qui s’en va à l’abattoir ASTA à Saint-Alexandre et à peu près le tiers que j’envoie à un abattoir d’Olymel.

Est-ce que c’est difficile de négocier avec Olymel quand, au fond, vous êtes en quelque sorte son sous-traitant ?

Non, non, non. Tu me demandes si j’ai une possibilité de conflit d’intérêts dans la négociation ou si je me sens, admettons, vulnérable ? J’ai toujours eu la chance de dire que moi, je suis indépendant pas mal dans ma tête, et dans ma tête, en tant qu’indépendant, il n’y a pas personne qui me fait courber l’échine.

Les producteurs octroient un rabais aux abattoirs depuis l’été passé, un rabais qui est passé de 40 $ à 25 $ à 6 $ aujourd’hui. C’est remboursé aux producteurs par le Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA), qui est financé aux deux tiers par les contribuables québécois. Est-ce que c’est vraiment aux contribuables de régler la note ?

C’est une bonne question. Moi, je reviens toujours sur : qu’est-ce que l’industrie rapporte par rapport à cet argent-là qui est investi ? Les retombées à travers les régions, c’est 3,3 milliards de dollars. Un rapport produit par Raymond Chabot a montré que pour chaque dollar que le gouvernement investit dans la production porcine, il y en avait 12 $ en retombées directes.

Comment va le moral des producteurs ?

Le moral est difficile parce qu’on traverse, depuis des années, une période plus difficile. Jusqu’à maintenant, j’ai évité d’aller trop sur la place publique parce que je voulais maximiser mon temps par rapport à la [négociation de la] convention [de mise en marché]. Là, je pense que ça avance très bien, alors on va être capable de donner ce message-là d’avenir à la filière porcine, parce qu’on y croit, dans cet avenir.

*Les propos de M. Duval ont été condensés par souci de clarté