(Ottawa) La pandémie de COVID-19 n’avait même pas six mois et aucun vaccin n’avait été approuvé pour une quelconque utilisation lorsque Justin Trudeau promettait à Montréal que le Conseil national de recherche du Canada serait en mesure de commencer à produire des millions de doses d’ici la fin de 2021.

Près de 1000 jours plus tard, le CNRC n’a toujours pas produit une seule dose destinée à un usage clinique. Mais ce jour n’est pas très loin.

Earl Brown, virologue et professeur émérite à l’Université d’Ottawa, rappelle qu’il était tout à fait utopique de penser pouvoir construire une nouvelle usine de vaccins en moins de deux ou trois ans — imaginez un an.

Mais si une nouvelle pandémie de coronavirus devait frapper le monde, le Canada serait aujourd’hui beaucoup mieux placé pour fabriquer ses propres vaccins et médicaments, dit-il.

Lorsque le Canada a négocié les contrats d’achat des premiers vaccins contre la COVID-19, à l’été 2020, Anita Anand, alors ministre de l’Approvisionnement, avait demandé à chaque entreprise si elle pouvait fabriquer ses doses au Canada. Toutes ont dit non.

Mme Anand, qui est aujourd’hui ministre de la Défense, explique que les pharmaceutiques ont toutes conclu que la capacité de biofabrication du Canada « était trop limitée pour justifier l’investissement en capital et en expertise nécessaire pour lancer la fabrication au Canada ».

12 usines ?

Entre mai 2020 et avril 2022, le Canada a promis plus de 1,3 milliard pour 12 usines, nouvelles ou agrandies, afin de fabriquer des vaccins et des traitements à base d’anticorps. La plupart sont encore en construction, mais le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne, déclarait vendredi que les choses progressaient à un bon rythme.

Lorsqu’il a pris ses fonctions en janvier 2021, M. Champagne déclarait que le Canada avait la capacité de produire ou au moins de terminer la production d’environ 30 millions de doses de vaccins par an.

GlaxoSmithKline fabriquait des vaccins contre la grippe saisonnière dans son usine de Sainte-Foy, au Québec. Sanofi Pasteur remplissait des flacons de vaccin contre la poliomyélite à Toronto, mais le vaccin lui-même était fabriqué en Europe. La plupart des autres vaccins courants, tels que le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole, sont importés.

Sanofi fait partie des 12 entreprises qui augmentent actuellement leur capacité de production. En mars 2021, elle a reçu 415 millions d’Ottawa et 55 millions du gouvernement de l’Ontario pour construire une usine de vaccins antigrippaux sur son campus de Toronto d’ici à 2026.

Selon M. Champagne, tous ces nouveaux projets permettront au Canada de produire près de 600 millions de doses par année, mais la plupart d’entre eux ne seront pas achevés avant un à trois ans.

Novavax-CNRC à Montréal

Le nouveau Centre de production de produits biologiques du CNRC, à Montréal, est l’un des rares à être fin prêt à fabriquer des vaccins dès ce printemps, à raison de deux millions de doses par mois. Mais il n’en a pas à produire.

L’usine flambant neuve de Novavax, d’une valeur de 126 millions, a été construite en juin 2021, soit un peu dans les délais proposés par M. Trudeau. Il a fallu 14 mois supplémentaires pour obtenir une licence de Santé Canada pour la fabrication de vaccins.

Mais la société Novavax, établie dans le Maryland, a déclaré en février qu’elle pourrait ne pas être en mesure de survivre. Elle a mis trop de temps à mettre son vaccin COVID-19 sur le marché et a perdu la course face à Pfizer-BioNTech et Moderna.

Le CNRC a déclaré qu’il appartenait à Novavax de commenter l’état d’avancement de son plan de production au Canada. L’entreprise n’a pas encore répondu à La Presse Canadienne.

Moderna à Laval

Patricia Gauthier, directrice générale de Moderna au Canada, a déclaré que l’entreprise construisait actuellement des usines au Canada, au Kenya, en Australie et au Royaume-Uni. Elle a ajouté que l’usine canadienne, à Laval, est en cours de construction très rapidement.

Annoncé il y a tout juste un an, le site a été choisi l’été dernier et la construction a commencé en novembre. Aujourd’hui, dit-elle, l’on s’attend à ce que les doses commencent à sortir de la chaîne de production d’ici à la fin de l’année prochaine.

Le processus d’autorisation de Santé Canada déterminera à quel moment les doses destinées aux patients seront prêtes, mais Mme Gauthier a déclaré qu’elle espérait qu’elles seraient prêtes à la fin de 2024 ou au début de 2025.

L’usine devrait être en mesure de produire annuellement jusqu’à 100 millions de doses de son vaccin original COVID-19, ou 200 millions de doses de rappel. L’entreprise prévoit également d’y fabriquer ses vaccins contre le virus respiratoire syncytial et la grippe, bien qu’aucun d’entre eux n’ait encore été autorisé.

Ottawa n’a pas versé de contribution financière directe à Moderna pour la construction de l’usine à Laval. En revanche, il a conclu un accord pour l’achat des vaccins qui sortiront des chaînes de fabrication.

Medicago à Québec

Le seul projet de la liste qui risque d’échouer complètement est le site de production de Medicago à Québec. L’entreprise avait reçu 173 millions du Canada en 2020 pour faire avancer son vaccin contre la COVID-19 et construire une nouvelle usine de production.

Son vaccin Covifenz a été testé avec succès, mais comme l’entreprise appartenait en partie au géant du tabac Philip Morris, l’Organisation mondiale de la santé a refusé d’examiner sa demande d’homologation.

Santé Canada a approuvé le vaccin et le Canada a payé pour 20 millions de doses, mais l’approvisionnement actuel du Canada en vaccin contre la COVID-19 est entièrement assuré par Pfizer-BioNTech et Moderna. Sans l’autorisation de l’OMS, Medicago n’a pas pu obtenir l’autorisation d’utiliser le vaccin ailleurs dans le monde.

Philip Morris a vendu sa part de la société en décembre, mais en février, l’unique propriétaire restant, la société japonaise Mitsubishi, a déclaré qu’elle mettait fin aux activités de Medicago.

M. Champagne a déclaré vendredi qu’il s’était entretenu cette semaine de la question avec le maire de Québec, Bruno Marchand, et qu’il espérait trouver un nouveau partenaire pour au moins sauver les recherches effectuées par l’entreprise.

Medicago était la seule entreprise au monde à produire un vaccin à base de plantes. M. Champagne n’a pas précisé si le Canada avait une chance de récupérer son investissement en cas de disparition totale de l’entreprise.

Le ministre québécois de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, admettait en février qu’il n’y avait pas beaucoup de repreneurs potentiels pour l’usine de Medicago parce que sinon, Mitsubishi l’aurait vendue. « Il y a très peu de gens dans le domaine pharmaceutique », disait-il.