« Nos marchands administrent des magasins physiques. Le web, ce n’est pas là que tu achètes ton deux par quatre. Et ta scie ronde, tu veux y toucher, tu veux qu’un conseiller t’en parle. »

Selon Richard Darveau, président et chef de la direction de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT), le Panier bleu a « erré » dans sa mission et n’est pas parvenu à susciter l’intérêt de ses membres.

Depuis sa création au début de la pandémie, le Panier bleu – plateforme d’achat en ligne qui réunit des marchands québécois – a essuyé de vives critiques. En début d’année, plusieurs entreprises qui y figurent ont confirmé à La Presse que leur présence sur cette place de marché ne leur avait pas permis de générer des ventes faramineuses. Plus récemment, le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, lors de l’étude des crédits budgétaires, a révélé que seuls 1 % des produits affichés sur le site étaient certifiés québécois. Au total, 115 000 y figurent, ainsi que 250 marchands.

Ainsi, à la suite de ces révélations, plusieurs membres de l’AQMAT, réunis en congrès à Saint-Hyacinthe jeudi dernier, n’ont pas caché leur incrédulité face au Panier bleu, projet qui ne semble pas avoir su les rallier.

Nos marchands ne voient pas du tout la valeur ajoutée du Panier bleu. Ce n’est vraiment pas dans leurs priorités. La plupart des quincailleries ne gèrent même pas de site web, c’est la maison mère qui s’en occupe.

Richard Darveau, président et chef de la direction de l’AQMAT

« L’idée de base était [bonne] », reconnaît Dominique Bélanger, propriétaire de La Quincaillerie C. Bélanger à Montréal. Mais plus de trois ans après sa création, il se pose des questions sur le bien-fondé du Panier bleu qui, selon lui, devrait mettre davantage l’accent sur les produits d’ici.

Son commerce de la rue Masson figure-t-il sur le Panier bleu ? « Je n’ai pas fait les efforts pour m’y inscrire, confie-t-il. Je me demande si j’ai [déjà] tapé le mot Panier bleu. »

De son côté, Nicolas Couture, président de Couture Timber Mart, qui compte quatre magasins dans les Cantons-de-l’Est, est également sceptique. « C’est une belle initiative en soi. Est-ce que les gens l’utilisent ? Je me questionne. On n’a pas de données là-dessus. Est-ce que cette initiative donne les résultats escomptés ? Pas nécessairement, j’ai l’impression. »

Ses magasins ne figurent pas non plus sur cette place de marché.

Les membres de l’AQMAT ont même interrogé à ce propos Stéphane Drouin, vice-président, achat québécois et développement économique à Investissement Québec, à la suite de son allocution prononcée à l’occasion du congrès.

Le Panier bleu, à la base, c’est une plateforme pour aider les commerçants du Québec à vendre plus en ligne. Ce n’est pas une plateforme pour vendre plus de produits québécois.

Stéphane Drouin, vice-président chez Investissement Québec

M. Drouin n’était visiblement pas à l’aise de critiquer l’initiative lancée au départ par le gouvernement du Québec avec en tête le ministre Pierre Fitzgibbon. « Le ministre, c’est mon boss », a-t-il rappelé avec un sourire dans la voix.

« Entre ne rien faire et faire quelque chose, j’aime autant faire quelque chose, a-t-il ajouté. On va laisser le temps faire son œuvre. On verra dans cinq ans si c’est encore intéressant. »

Une meilleure communication

Interrogé à propos du scepticisme des quincaillers et des critiques portant sur le nombre de produits québécois sur le site, le directeur du Panier bleu, Alain Dumas, a tenu à faire des précisions. « La quincaillerie n’a pas été le premier secteur qu’on a cherché à avoir, a-t-il admis au bout du fil. Mais c’est un secteur qu’on vise quand même et on va se faire un plaisir de leur parler. On sait qu’on a du travail à faire. »

En ce qui concerne la faible proportion de produits certifiés québécois sur la plateforme, M. Dumas précise que les produits d’ici sont beaucoup plus nombreux que ce qui a été révélé. Ils n’ont toutefois pas tous reçu de certification puisque c’est le marchand lui-même qui doit en faire la demande.

« Je suis très conscient que c’est complexe. On doit le répéter. C’est notre objectif aussi de bien le communiquer. Peut-être qu’on ne l’a pas assez communiqué. On va s’y attaquer dans les semaines qui suivent. »

L’histoire jusqu’ici

  • Avril 2020 : Lancement du Panier bleu par le gouvernement de François Legault pour stimuler l’achat local. Québec y injecte alors 975 000 $ et ajoute ensuite 3,15 millions pour l’améliorer. Au départ, le site n’est pas transactionnel. Il répertorie des marchands québécois.
  • Juin 2022 : Le Panier bleu, qui était un OBNL, devient une société privée, propriété de Plateforme Agora. Celle-ci est constituée d’actionnaires minoritaires, dont Desjardins, le Fonds de solidarité FTQ, Lightspeed, qui se spécialise dans le commerce électronique, et le gouvernement du Québec (Investissement Québec). D’autres partenaires pourraient s’ajouter.
  • Octobre 2022 : Plus de deux ans après sa création, le site devient transactionnel. Un investissement de 22 millions de dollars.