Au tour de l’avocat de la Caisse de dépôt et placement du Québec de contre-interroger l’ancien PDG d’Otéra Capital. Alfonso Graceffa a dû s’expliquer mercredi sur les raisons qui l’avaient poussé à rencontrer un homme ayant des antécédents criminels dans son bureau même pour recevoir 15 000 $ en argent comptant, en 2017.

Cette rencontre faisait partie de ses efforts pour « aider son frère » Salvatore Graceffa, à qui la somme était due, explique-t-il. Le hic : l’individu en question, Jean-Denis Lamontagne, avait déjà été condamné pour trafic de stupéfiants.

Il était aussi pratiquement en faillite. Or, il est interdit à une personne insolvable de rembourser un créancier sans passer par un syndic ou un contrôleur. « Ce serait un paiement préférentiel », a souligné l’avocat de la Caisse Mason Poplaw.

Il a mentionné une série de courriels et de rapports envoyés à Graceffa faisant état des antécédents criminels de Lamontagne et de sa piètre posture financière. Ces messages laissaient aussi entendre que Salvatore Graceffa, fort d’un jugement obtenu contre son débiteur, menaçait de faire interroger sa conjointe et sa mère pour tenter de récupérer sa créance de 79 043 $.

Mason Poplaw a demandé à l’ex-PDG d’Otéra à plusieurs reprises s’il se souvenait d’avoir vu ces documents, qui ont atterri dans sa boîte de courriel. « Je ne me rappelle pas », a répété Graceffa.

Sous pression, Lamontagne s’est finalement présenté à son bureau pour lui remettre une partie de la somme, soit 15 000 $.

Mason Poplaw lui a demandé s’il lui était « venu à l’esprit » de faire des vérifications sur Lamontagne avant de le recevoir à la Caisse, ne serait-ce qu’en lisant les rapports qu’il avait reçus.

« Mon frère avait une entente », a-t-il répondu, avant d’ajouter : « Je n’ai pas réalisé qu’il venait me remettre de l’argent comptant !

— Et quand il vous a tendu l’enveloppe, pourquoi ne pas l’avoir refusée ?

— Je lui ai remis un reçu. Je n’avais rien à cacher ! », a répondu Graceffa.

Une prise de contrôle non déclarée

L’ex-homme fort de la Caisse dans le prêt immobilier a aussi dû décrire la façon dont il avait pris le contrôle petit à petit de l’entreprise de son frère, Constructions Sainte-Gabrielle (CSG), sans jamais déclarer son intérêt aux responsables de l’éthique. « Un oubli », dit-il.

Au fil des ans, il en est devenu actionnaire à 50 % et son plus important créancier, après avoir prêté deux millions à l’entreprise.

Il a tenté de convaincre le juge que pour lui, CSG n’était qu’un « investissement » et qu’il ne prenait pas de décisions.

C’était mon frère. C’était un one-man show, et c’est une petite compagnie.

Alfonso Graceffa, à propos de Constructions Sainte-Gabrielle

Mason Poplaw lui a fait remarquer qu’il signait des chèques pour CSG. Il a même obtenu le pouvoir d’agir à la place de son frère, « qui n’allait pas bien ».

L’ex-PDG d’Otéra a alors assuré qu’il n’avait jamais usé de ce pouvoir. Le juge Andres Garin lui-même a alors souligné que sa signature apparaissait sur une résolution qu’il avait vue. « C’était une erreur », a répondu Graceffa.

Un associé personnel, client et fournisseur d’Otéra

Mason Poplaw a ensuite abordé la relation qu’entretenait l’ancien PDG d’Otéra avec Thomas Marcontonio.

Cet homme d’affaires était à la fois un client d’Otéra, qui lui a accordé des financements pour ses projets, et un fournisseur de prêts pour Otéra, en tant que courtier hypothécaire. C’est aussi un vieil « ami d’affaires » de Graceffa, partenaire dans ses projets immobiliers et dans des financements hypothécaires depuis plus de 25 ans.

L’avocat de la Caisse a notamment mentionné un prêt de 2,15 millions que Graceffa a accordé par l’entremise de l’entreprise de son partenaire en 2016. Une somme dont Marcantonio s’était porté garant.

Mason Poplaw a suggéré que ces multiples couches de relations avec lui, à travers Otéra et ses propres relations d’affaires personnelles, risquaient de soulever dans le public des « questions embarrassantes ».

L’avocat de la Caisse a sorti une vieille transaction de sa manche pour miner la crédibilité de l’ex-PDG d’Otéra. En 2010, alors qu’il était vice-président au crédit chez Otéra, Graceffa aurait accordé avec son argent un prêt de 50 000 $ à Louis-Robert Lemire, condamné pour délit d’initié deux ans plus tôt par le Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières.

« Boussole éthique déréglée »

Dans sa défense, la Caisse décrit Graceffa comme un dirigeant à la « boussole éthique déréglée ». Elle tâche de démontrer que ses dérives éthiques justifiaient amplement son renvoi. L’ex-PDG d’Otéra poursuit son ancien employeur pour 6,9 millions pour « congédiement injustifié ».

Selon lui, la Caisse l’a « jeté sous l’autobus » pour laver sa réputation, à la suite d’une enquête interne à cinq millions de dollars, commandée après une série de reportages du Journal de Montréal en 2019 sur la mauvaise gouvernance chez Otéra.

Ils révélaient notamment qu’une filiale d’Otéra, la Société financière MCAP, avait accordé plus de 9 millions en prêts à des sociétés immobilières personnelles de Graceffa. Otéra avait aussi prêté 44 millions à la société de son partenaire Marcantonio.