Un mardi sur deux, des experts en ressources humaines répondent à vos questions. Cette semaine, les conseils d’Alain Gosselin, professeur émérite à HEC Montréal.

J’ai le sentiment d’être constamment débordé. Les réunions s’enchaînent sans pause et je ne parviens jamais à passer à travers mes courriels. Je réalise que j’ai tendance à aider tout le monde, mais que je peine à faire avancer mes propres objectifs. Suis-je trop collaboratif ?

Charles

De nos jours, nous partageons tous, à divers degrés, ce sentiment de surcharge qui s’avère une source majeure de stress, de frustration et d’épuisement. Cette impression que nous travaillons toujours plus fort sans parvenir à réaliser tout ce que nous avions prévu, faute de temps. Que se passe-t-il ?

Charles pointe son excès de collaboration comme la source de son problème. Il n’a pas tort. Les organisations demandent plus que jamais de travailler en équipe, en mode projets, de bâtir des ponts entre les silos, de se rendre disponible pour les autres afin de mettre en commun les idées et les connaissances. Mais nous oublions que la collaboration n’engendre pas que des bénéfices. Elle comporte aussi un coût élevé en temps qui est largement sous-estimé.

Les données récentes colligées par Rob Cross⁠1, professeur au Babson College à Boston, montrent que plus de 85 % de notre travail s’effectue en mode collaboration avec d’autres, par l’entremise de courriels, de réunions ou d’appels téléphoniques.

Cette situation laisse très peu de place au travail individuel « profond⁠2 » de réflexion, d’analyse, de créativité et de développement personnel, qui s’avère pourtant une importante source de productivité et de satisfaction au travail. Aussi, les activités collaboratives peuvent conduire à des interruptions fréquentes et désordonnées qui rompent notre concentration au travail.

Pourquoi cet excès de collaboration ?

Pour répondre à cette question, Charles pourrait se regarder dans le miroir, car les collaborateurs surchargés sont largement responsables de leur situation. Chargés de bonnes intentions, ils tirent souvent une certaine valorisation du fait d’être sollicités et d’avoir de l’influence. Ils aiment se sentir utiles, voire indispensables.

Ils créent ainsi un cercle vertueux. Plus ils collaborent, plus ils incitent les autres à venir vers eux pour de l’aide.

Toutefois, ils finissent par faire tourner progressivement cette situation en un cercle vicieux de surcharge avec un volume croissant de demandes de collaboration qui les dépassent. Ils sont alors à risque de devenir un goulot d’étranglement autour d’eux, ce qui ralentit les décisions et diminue l’efficacité.

Que peut faire Charles ?

La première chose à faire est de prendre conscience de sa propre contribution à la situation qu’il déplore. Cela ne veut pas dire de cesser de collaborer, au contraire. Les organisations ont besoin plus que jamais de gens comme Charles, qui pensent de façon transversale, entre les secteurs, et qui n’ont pas de comportements territoriaux dysfonctionnels. Cependant, il doit apprendre à maîtriser ou discipliner son désir d’aider tout le monde, tout le temps.

Charles doit adopter une posture plus offensive sur les choses qu’il contrôle et peut influencer. Cela commence par avoir une idée claire de ses priorités et de ne pas s’en laisser détourner.

Il doit apprendre à scénariser son travail en plaçant ses priorités en premier dans son agenda, dont des blocs de deux heures pour réfléchir, planifier et apprendre. Il doit aussi établir des normes qui vont l’aider à filtrer et à prioriser les demandes de collaboration. Cela peut vouloir dire une limite de disponibilité et de temps pour des rencontres. Cela peut être également de ne participer qu’aux réunions où il est susceptible d’apporter une contribution significative.

Il doit aussi changer certaines mauvaises habitudes, dont celle d’être mal à l’aise de dire non aux autres. Une bonne façon d’y arriver est de se demander : « Si je dis oui à ceci, à quoi d’autre de plus important dois-je dire non ? » Ne pas se laisser interrompre ou distraire à tout moment devrait également être une priorité. Cela implique de mettre une limite aux courriels trop longs et à l’usage abusif de « cc ».

De façon évidente, il faut aussi résister à la tentation de regarder ses courriels constamment et d’y répondre dans la seconde.

Charles doit faire savoir aux autres qu’il veut rééquilibrer la situation. Cela implique d’être plus transparent sur ses priorités, ses normes et ses limites de temps, tout en amenant ceux qui ont besoin de son aide à mieux préciser dès le début leurs besoins et attentes (quelle est ta question ?).

Finalement, le collaborateur surchargé doit laisser plus d’espace aux idées et aux talents des autres. Il importe de les valoriser pour rediriger les demandes de collaboration vers des personnes tout aussi en mesure d’y répondre.

L’effet cumulé des suggestions précédentes, pourtant toutes simples, peut faire une différence significative dans la capacité de Charles à reprendre le contrôle de sa contribution et de son impact au travail.

[1] Rob Cross, Beyond Collaboration Overload, Harvard Business Review Press, 2021.

[2] Cal Newport, Deep Work – Retrouver la concentration dans un monde de distractions, Alisio, 2017.