Est-ce qu’un robot pourrait bientôt me remplacer à mon travail ? Cette question n’est pas farfelue : le développement à la vitesse grand V de l’intelligence artificielle (IA) et de ses possibilités infinies, révélées au monde entier par ChatGPT, crée de l’anxiété chez les travailleurs. Ceux-ci craignent d’être… obsolètes.

Fanny Nehma, une Montréalaise de 32 ans, a obtenu il y a trois ans son diplôme en bureautique. Son objectif était très clair en retournant sur le marché du travail après deux congés de maternité consécutifs : changer de métier. Elle a quitté le monde de la construction pour devenir agente de bureau.

Elle travaille maintenant dans un cabinet d’assurance. Son boulot, elle l’adore. Sauf que… « Je me demande combien de temps je vais pouvoir l’exercer, lance-t-elle, visiblement découragée. Je fais des tâches administratives, assez répétitives. Je résume des textes, j’écris des courriels, je rentre des données. Ça m’angoisse de penser que j’ai peut-être fait tout ça pour rien. »

Mme Nehma craint en fait d’être remplacée par l’intelligence artificielle. Elle n’est pas seule : l’anxiété liée aux avancées en intelligence artificielle est un phénomène nouveau, mais bien réel.

« L’anxiété liée aux technologies existait déjà », souligne Justine Dima, professeure associée en management des ressources humaines à la Haute École d’ingénierie et de gestion en Suisse dont la thèse de doctorat à l’Université Laval portait sur l’impact de l’intelligence artificielle dans les milieux de travail. « L’anxiété liée à l’intelligence artificielle a envahi le monde du travail de façon rapide à cause des informations qui circulent à travers les médias et les réseaux sociaux. Et la pression est forte. »

Encore peu étudiée, cette anxiété, appelée « IA anxiété », est nourrie par un sentiment de compétition avec quelque chose dont on mesure mal les capacités et les possibilités. Forcément, l’impression de ne pas être de taille, et donc de perdre du pouvoir, s’installe chez certains travailleurs.

L’intelligence artificielle est perçue en ce moment comme une menace pour tout, que ce soit dans le monde du travail, de notre confort et de notre bien-être. On se dirige vers l’inconnu alors la crainte d’être à la merci de l’intelligence artificielle existe.

Janel Gauthier, professeur émérite à l’École de psychologie de l’Université Laval

Selon une recherche réalisée par deux économistes, Joseph Briggs et Devesh Kodnani, de la banque d’investissement américaine Goldman Sachs, et dont les résultats ont été publiés en mars dernier, l’intelligence artificielle pourrait faire disparaître quelque 300 millions de postes à temps plein à travers le monde. Le rapport révèle aussi que près du quart des tâches pourraient être affectées par l’intelligence artificielle en Europe et en Amérique du Nord.

Des chiffres effarants… à prendre avec des pincettes. « Il s’agit d’estimations, prévient Mme Dima, ça donne des tendances. Mais à quel point est-ce juste ? »

Du stress

Chose certaine, les travailleurs ressentent du stress, se remettent en question et vivent une certaine détresse psychologique face au monstre qu’est l’intelligence artificielle. « Le mieux, c’est de comprendre ce que c’est… et ce que ce n’est pas. Ça passe par l’information, basée sur de bonnes sources », indique la professeure Justine Dima.

Pour Janel Gauthier, l’anxiété peut être une réaction normale, mais cela ne veut pas dire qu’elle soit justifiée. « Il faut essayer de prendre un pas de recul, dédramatiser et relativiser, dit-il. Il y a beaucoup de gouvernements qui s’intéressent à la question en ce moment et souhaitent baliser le tout. Aussi, il est important d’être en contact avec des faits, avec des expériences et des exemples. »

M. Gauthier fait le parallèle avec la pandémie de COVID-19 : confrontée à une nouvelle situation, l’humanité a su réagir de façon adéquate, relate-t-il. « Avec le développement des vaccins, on a trouvé une manière de composer avec le virus, de continuer à vivre et à prospérer. »

Pour Michel Dubois, directeur principal au développement expérimental à l’institut québécois d’intelligence artificielle Mila, il est important de garder en tête que l’intelligence artificielle entraînera des répercussions positives.

« Si je vous disais qu’elle peut être une solution pour vous libérer sept heures de travail par semaine, pour que vous disposiez de plus de temps pour faire les choses que vous aimez, tout en augmentant votre productivité ? »

Des emplois seront aussi créés, rappelle-t-il. Ainsi, tous les emplois qui touchent aux données (analyste de données, scientifique de données), à la sécurité informatique et à l’éthique seront demandés dans les prochaines années.

Fanny Nehma ne compte pas changer de boulot à nouveau, mais elle s’intéresse aux formations offertes au sein de son entreprise. Elle tient à rester à l’affût des développements technologiques. « Je vais devoir rester flexible et ouverte », conclut-elle.

En savoir plus
  • 10 %
    Proportion des entreprises, au Québec, qui ont intégré l’intelligence artificielle dans leurs activités de tous les jours
    Ordre des conseillers en ressources humaines agréés