Insultes. Claquage de porte. Dénigrement. Lancement d’objets. Critiques non fondées. Remarques blessantes. Par leurs comportements excessifs, les patrons toxiques gâchent la vie de leurs subordonnés, les forçant à agir – ou à partir.

Pendant près de deux ans, David* a encaissé les hauts et les bas de sa patronne. Technicien en ingénierie dans les Laurentides, le père de famille de 38 ans a d’abord pensé que c’était lui, le problème.

« Je me suis beaucoup remis en question, dit-il. Je n’osais pas en parler à mes collègues, je trouvais ça trop humiliant… Elle a tout fait pour me faire sentir mal, pour me faire douter et me faire sentir coupable. »

David a mis les bouchées doubles pour que sa patronne gagne enfin de l’estime et du respect pour lui. Rien à faire. Pendant que lui s’enfonçait dans la fatigue et le stress, elle poursuivait ses ravages au travail, raconte-t-il. Jusqu’au jour où un autre technicien s’est ouvert à lui.

« Finalement, on vivait la même chose, souligne David. On a parlé aux ressources humaines et une enquête a été ouverte. »

Intolérant et intransigeant, un boss toxique épuise tout le monde autour de lui. Il a peu d’empathie et il est le champion du micromanagement.

Les critères

Pierre Lainey, maître d’enseignement au département de management de HEC Montréal, en connaît un rayon en matière de patrons toxiques : en plus de s’intéresser au sujet, il en a connu un. Il détermine plusieurs critères qui font qu’un patron peut être désigné « toxique ».

« Le patron toxique crée des incertitudes autour de lui, dit-il. Il est de bonne ou de mauvaise humeur et on ne sait pas pourquoi, donc on ne sait jamais comment le prendre. Il est bon pour induire de la culpabilité, il fait des demandes irréalistes, il abuse de son pouvoir, il ne tolère pas les erreurs et il n’est pas sensible aux problèmes des employés. Pour lui, l’empathie, c’est une faiblesse. »

À ce portrait pas très joli, Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec (CRHA), ajoute que le patron toxique est indifférent à la charge de travail de ses employés : il en rajoute, peu importe la surcharge et les signes d’épuisement.

Il n’est pas à l’écoute et il aime s’approprier les succès de l’équipe. C’est souvent tourné vers lui, pour son propre bénéfice.

Manon Poirier

Forcément, l’employé sous le patron toxique va peu à peu perdre confiance en lui. Il peut même en venir à remettre en cause ses compétences.

« C’est la chute libre, dit Natacha*, employée de bureau dans un grand bureau d’avocats montréalais. Tu demandes de la formation, de l’accompagnement, du soutien, tu demandes une rencontre, et tu ne reçois rien du tout. J’ai été seule là-dedans trop longtemps. »

Contrairement à David, qui a réussi à faire bouger les choses à son bureau, Natacha a tenté de faire naître une solidarité entre collègues pour renverser son patron – en vain. Après six mois en poste, elle est partie… avec beaucoup de colère, d’amertume et de fatigue.

« Il est toujours là et il est même monté en grade ! », lance-t-elle, en ajoutant qu’elle a rapidement trouvé un travail dans une autre organisation où « la culture d’entreprise est beaucoup plus saine et bienveillante ».

Parler aux responsables des ressources humaines peut être une solution, rappelle Mme Poirier. Si l’entreprise est de petite taille et qu’il n’y a pas de service de ressources humaines, l’employé peut s’adresser au patron de son patron. « Par peur de représailles, il arrive que l’employé n’ose pas », indique Manon Poirier.

Ils ne vont pas changer

L’erreur à ne pas commettre ? Penser qu’on va réussir à changer le patron toxique. Natacha en a payé le prix : « Les ragots à mon sujet ont circulé, j’étais vue comme la chialeuse et la personne problématique », laisse tomber la Montréalaise de 35 ans, qui a vu plusieurs collègues partir en congé de maladie ou démissionner.

Selon Pierre Lainey, parmi les bons gestes à faire, face à un patron toxique, il est sage de prendre un pas de recul pour mettre les choses en perspective. Le but ? Retrouver sa dignité et un certain équilibre. « Il faut prendre soin de soi, de sa santé, précise-t-il. Et je pense qu’il faut savoir quand partir, sans mettre sa santé en péril… et sans brûler les ponts, si possible ! »

Préparer son départ et partir en bons termes demeurent la façon élégante de faire. Et on le fait sans critiquer le boss, autant que faire se peut.

« On peut dire que le milieu ne nous convenait pas, dit M. Lainey, et qu’on a d’autres aspirations dans notre carrière ou que d’autres opportunités se sont présentées. »

* David et Natacha ont témoigné sous le couvert de l’anonymat, craignant des représailles ou des jugements de la part de leur employeur et de leurs collègues.