Lorsqu’il est désigné premier président-directeur général du Fonds de solidarité FTQ en 1983, Claude Blanchet est bien au fait du mandat qui l’attend : trouver de l’argent afin d’investir dans des entreprises. Ce qu’il ignore, c’est que l’organisation s’apprête à jouer un rôle de locomotive dans une importante campagne d’éducation économique qui se poursuit de nos jours.

« On n’avait jamais pensé à l’importance qu’aurait eue la formation économique pour faire changer les mentalités au Québec, résume-t-il en entrevue avec La Presse. Pour inciter les travailleurs, il fallait leur expliquer pourquoi mettre 10 $ dans le fonds allait créer des jobs. »

Au-delà de l’effet qu’a eu le Fonds de solidarité FTQ sur l’économie québécoise, l’homme de 77 ans estime que la démocratisation de la littératie financière dans le milieu syndical constitue l’un des principaux legs de l’organisation. Elle a permis de rétrécir le fossé qui existe parfois entre les syndicats et le secteur privé, affirme M. Blanchet.

Avec un actif net supérieur à 18 milliards et plusieurs centaines de milliers d’actionnaires-épargnants, le Fonds de solidarité FTQ n’a plus besoin de présentation. Environ un travailleur québécois sur six est actionnaire.

Mais au moment de sa constitution, grâce à une loi adoptée par l’Assemblée nationale il y a exactement 40 ans ce vendredi, le portrait est bien différent. La pénurie de main-d’œuvre que l’on connaît aujourd’hui est un concept utopique. Les entreprises ne sont pas à la recherche de travailleurs. Elles cherchent plutôt à s’en débarrasser. La preuve : le taux de chômage atteint 13,9 % au Québec en 1983. Il faudra attendre jusqu’en 1988 avant de le voir redescendre sous la barre des 10 % (9,5 %).

Malgré les crédits d’impôt offerts à l’achat d’actions, les travailleurs ne sont pas convaincus du « bien-fondé » de cet outil, se rappelle M. Blanchet, qui dirigera l’institution jusqu’en 1997. À l’époque, le président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), Louis Laberge – qui a aussi joué un rôle clé dans la création de l’organisation –, doit intervenir.

PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Claude Blanchet en compagnie de sa femme, l’ex-première ministre Pauline Marois, en 2017

« Louis leur disait : “Vous allez mettre l’équivalent d’un paquet de cigarettes par semaine dans le Fonds et avec cela on va créer des jobs pour nos confrères et consœurs qui n’en ont pas” », explique M. Blanchet. Les gens demandaient de comprendre un peu plus. On a dû faire beaucoup de formation. On n’avait pas imaginé cela. »

Économie 101

C’est ce qui met la table à une nouvelle structure. Les concepts économiques – l’importance des bénéfices, la compréhension d’états financiers – sont enseignés aux représentants locaux ainsi qu’aux membres des bureaux syndicaux. Au fil du temps, cela a « changé l’avenir du Québec » en rapprochant le milieu syndical de celui des affaires, souligne M. Blanchet.

« Avant le Fonds, le Québec était le champion des lock-out et des grèves, dit-il. Partout au Canada, les gens se moquaient du Québec. Les travailleurs ont pu comprendre pourquoi on avait besoin de capital dans les entreprises et comprendre la nécessité des bénéfices dans une entreprise. »

L’ancien ministre québécois des Finances Raymond Bachand abonde dans le même sens. Administrateur du fonds de travailleurs au moment de sa création, l’ancien politicien l’a aussi dirigé de 1997 à 2001. Celui-ci parle d’« évolution culturelle ».

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Raymond Bachand, en avril dernier

Cela a changé la mentalité des relations de travail dans la province. Ça crée un esprit de partenariat entre les travailleurs et les entrepreneurs.

Raymond Bachand, ancien ministre des Finances du Québec

Par l’entremise du Centre de formation économique, le Fonds de solidarité FTQ poursuit cette mission d’éducation en entreprise. Ce programme implique les « dirigeants et les employés [des] entreprises partenaires » pour favoriser « une meilleure compréhension de part et d’autre des enjeux économiques et financiers », explique le Fonds.

Toujours utile ?

Le contexte économique a bien changé depuis la naissance du fonds de travailleurs. En raison de sa taille et de celle de son actif net, l’organisation doit-elle continuer à bénéficier des crédits d’impôt lorsque des particuliers se procurent des actions ? Benoît Lévesque, professeur émérite de sociologie à l’UQAM et coauteur d’un ouvrage sur le Fonds de solidarité FTQ, croit que oui. La raison : l’investisseur est toujours un acteur important dans le créneau du capital de risque, où l’on finance des entreprises en démarrage ou aux stades de recherche et de développement.

« Il y a une dimension régionale, affirme-t-il. Les fonds de capital de risque, ils sont presque tous concentrés dans les grandes villes. Le Fonds a des antennes dans chacune des régions. »

De son côté, M. Bachand rappelle que les secousses économiques ont été plutôt rares depuis la crise financière de 2008. Dans ce contexte, peut-être que certains ont oublié à quel point les fonds de travailleurs peuvent s’avérer utiles.

« Dans les périodes de grande prospérité, dans le marché, tu as pas mal de concurrents pour demeurer pertinent, souligne-t-il. Quand tout le monde se retire du marché, le Fonds reste là. Quand la mer est belle, on oublie parfois l’utilité d’avoir un canot de sauvetage dans le navire. »

Lisez la lettre ouverte de Claude Blanchet, premier PDG du Fonds de solidarité FTQ : « La création d’une institution financière unique au monde »

Le Fonds de solidarité en bref :

Création : 1983

Présidente-directrice générale : Janie Béïque

Actif net : Plus de 18 milliards

Actionnaires-épargnants : 753 000 (au 30 novembre 2022)

Entreprises partenaires : 3600 (au 31 mai 2022)

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  • 10 $
    Valeur initiale de l’action du Fonds de solidarité FTQ
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    Dernière évaluation de l’action du Fonds, au 30 novembre 2022
    fonds de solidarité ftq