Des produits frais congelés qui perdent de leur valeur parce qu’on ne peut plus les exporter et de la marchandise bloquée sur des porte-conteneurs. Les impacts de la grève au port de Vancouver sont ressentis jusqu’au Québec, où ils se comptent en « millions de dollars » chez Olymel. Et ce n’est pas fini si l’impasse n’est pas dénouée.

L’Asie est un marché important pour le transformateur de viande. Chaque semaine, environ 1,5 million de kilos de produits frais – comme des filets et des longes de porc – sortent de ses usines québécoises et de celle de Red Deer (Alberta) à destination de pays comme le Japon et la Corée du Sud.

Avec une 12e journée de paralysie dans les ports en Colombie-Britannique, l’entreprise québécoise doit commencer à prendre des décisions difficiles : congeler des coupes fraîches pour prolonger leur durée de vie et limiter les dégâts.

« C’est maintenant qu’on se dit : “OK, on va devoir suspendre ces produits-là pour l’exportation” », raconte son premier vice-président, Paul Beauchamp, en entrevue téléphonique avec La Presse.

On vient dévaloriser le produit. C’est un impact qui se chiffre en millions de dollars. On perd une valeur significative du kilo parce que c’est un produit dont la valeur est liée à son état puisqu’il est vendu frais. C’est ce qui constitue nos pertes pour l’instant.

Paul Beauchamp, premier vice-président d’Olymel

Au Canada, le port de Vancouver – le plus important au pays – est la principale porte d’entrée des conteneurs importés de l’Asie. Mais il est aussi un important tremplin pour les exportateurs. Selon les données gouvernementales, le Québec exporte annuellement pour 2,1 milliards de viande de porc. Environ 63 % des stocks sont écoulés en Chine (46 %) et au Japon (17 %).

Ce conflit de travail qui se déroule à quelque 4600 kilomètres à l’ouest du Québec prend aussi des allures de « casse-tête logistique » pour Olymel. En plus de voir les portes de son principal marché d’exportation se refermer temporairement, la filiale de Sollio Groupe Coopératif ne peut faire autrement que de se tourner vers des marchés jugés « moins lucratifs » pour écouler ses stocks.

PHOTO OLYMEL, FOURNIE PAR REUTERS

La grève au port de Vancouver empêche Olymel d’exporter des produits frais du porc vers l’Asie.

« On ne gaspille pas le produit, dit M. Beauchamp. Mais on passe d’un marché à prime à des conteneurs remplis de produits congelés où il faut trouver des clients. Il y a les États-Unis, l’Amérique du Sud et le Mexique, par exemple. Des endroits où l’on peut se permettre d’avoir des temps de transport plus longs. »

Le débrayage est une nouvelle tuile pour Olymel, qui tente de redresser sa situation financière après avoir affiché une perte avant impôts d’environ 446 millions l’an dernier dans un contexte de conjoncture défavorable pour le marché du porc. L’entreprise avait aussi annoncé la fermeture de son abattoir de Vallée-Jonction, en Beauce. On mettra la clé sous la porte vers la fin de l’année.

De l’incertitude

Les contrecoups de la paralysie portuaire en Colombie-Britannique commencent aussi à se faire ressentir ailleurs. Il n’y a pas péril en la demeure chez DeSerres, mais le détaillant de matériel pour artistes et amateurs d’artisanat se serait bien passé de ces nouvelles turbulences après les perturbations pandémiques des dernières années.

PHOTO DARRYL DYCK, LA PRESSE CANADIENNE

Port de Vancouver

« Au moment où l’on se parle, nous avons des conteneurs sur la mer et on ignore quand ils vont pouvoir entrer à Vancouver, explique son président Marc DeSerres. J’ai des boîtes de crayons qui sont bloquées. Pour moi, la désuétude n’est pas un problème, mais j’en ai quand même besoin. Dans le back to school [rentrée scolaire], il nous manquait quelques affaires. On attend. »

D’autres entreprises ont aussi commencé à recevoir des avertissements de leurs fournisseurs asiatiques. C’est notamment le cas de Taiga Motors, même si la cadence de production ne semble pas menacée par un ralentissement pour le moment. Le constructeur québécois de motoneiges et motomarines électriques pourrait cependant attendre un peu plus longtemps pour certaines pièces.

On a été prévenus par certains fournisseurs qu’il y aura un impact pour certaines livraisons. Il y a un travail d’atténuation qui a été enclenché pour rediriger certaines livraisons et évaluer d’autres itinéraires.

Annick Lauzon, directrice du marketing chez Taiga

Mme Lauzon n’a toutefois pas précisé quels types de composants pourraient arriver plus tard que prévu dans l’atelier du jeune constructeur de véhicules récréatifs.

Il n’y a pas que la durée du débrayage des débardeurs qui inquiète les entreprises qui dépendent du transport maritime. Elles se demandent aussi combien de temps il faudra avant de renouer avec une certaine normalité une fois le conflit terminé.

« On va en avoir pour combien de temps avant de renouer avec un niveau de service qui nous permettra de bien servir nos clients ? » se demande le premier vice-président chez Olymel. « Plus ça tarde, plus ça nous inquiète. »

M. DeSerres partage la même inquiétude. L’homme d’affaires craint de devoir attendre « quelques semaines » après la fin du conflit avant que « tout débloque ».

Solidarité transfrontalière

Les entreprises qui regardent du côté de ports comme Seattle pour contourner le blocage en vigueur en Colombie-Britannique risquent d’avoir une mauvaise surprise.

Dans une déclaration au réseau américain CNBC, la semaine dernière, le président du syndicat international du débardage et de l’entreposage Willie Adams a fait savoir que les membres de son organisation n’avaient pas l’intention de manipuler des conteneurs à destination du Canada ou qui devaient quitter le pays à partir de la Colombie-Britannique.

« Les entreprises n’ont pas beaucoup d’options pour l’Asie, souligne la présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec, Véronique Proulx. Même si on veut passer par le Mexique, la marchandise doit effectuer un long trajet en train. Les plans de contingence sont limités. »

Ailleurs au Canada, mardi, d’autres entreprises ont également dû s’ajuster à la grève des débardeurs dans l’Ouest canadien. Nutrien a réduit la production de sa mine de potasse de Cory, en Saskatchewan, en prévenant que d’autres sites pourraient subir le même sort si le conflit de travail s’allonge.

Où en sont les négociations ?

Une lueur d’espoir pointe à l’horizon. Les deux parties ont reçu les recommandations d’un médiateur fédéral dans l’espoir de mettre fin à la grève déclenchée le 1er juillet dernier, selon une source citée par La Presse Canadienne. Le syndicat qui représente les débardeurs de la Colombie-Britannique et l’employeur auront maintenant 24 heures pour accepter ou non l’entente proposée par le médiateur. La compétence en matière d’entretien, l’amélioration des salaires, la sous-traitance et l’automatisation sont au cœur des points qui achoppent entre les deux parties.

L’histoire jusqu’ici 

28 juin : Un préavis de grève est brandi par le Syndicat international des débardeurs et magasiniers du Canada. Le contrat de travail est échu depuis mars dernier.

1er juillet : Un débrayage commence dans plus de 30 ports de la Colombie-Britannique, dont celui de Vancouver, le plus important au pays. Plus de 7400 débardeurs désertent les quais.

11 juillet : Rien ne semble pointer vers un règlement. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante affirme qu’au moins un entrepreneur sur deux (53 %) sera affecté par le conflit de travail.

En savoir plus
  • 7400
    Nombre de débardeurs en grève dans une trentaine de ports en Colombie-Britannique
    source : syndicat international du débardage et de l’entreposage
    16 %
    Proportion des marchandises échangées annuellement au Canada qui transigent par les ports en grève
    source : Association des employeurs maritimes de la Colombie-Britannique