(Ottawa) Les mises en garde se multiplient au Canada et aux États-Unis. Mais cela ne semble pas faire fléchir la ministre des Finances, Chrystia Freeland, qui réitère sa ferme volonté d’aller de l’avant avec une taxe sur les services numériques dès janvier prochain.

Ce faisant, le Canada risque de faire cavalier seul, car les autres pays membres de l’OCDE – dont les États-Unis – ont décidé il y a quelques semaines de mettre sur la glace l’idée d’imposer une telle taxe qui pourrait atteindre les 15 %.

Des organisations représentant le monde des affaires au Canada et aux États-Unis ont invité le gouvernement Trudeau à revenir sur cette décision, craignant que cela ne provoque des tensions commerciales inutiles entre les deux pays.

Récemment, l’ambassadeur des États-Unis au Canada, David Cohen, a fait savoir que l’administration Biden n’aura d’autre choix que d’imposer des mesures de représailles si le gouvernement Trudeau ne change pas son fusil d’épaule dans ce dossier.

PHOTO SPENCER COLBY, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’ambassadeur des États-Unis au Canada, David Cohen

Si le Canada décide de procéder seul, vous ne laissez aux États-Unis d’autre choix que de prendre des mesures de rétorsion dans le contexte commercial, potentiellement dans le contexte du commerce numérique, afin de répondre à cela.

David Cohen, ambassadeur des États-Unis au Canada, dans une entrevue au quotidien National Post

Ce dernier a rappelé que la secrétaire d’État au Commerce, Katherine Tai, avait aussi été sans équivoque à ce sujet dans les échanges qu’elle a eus avec ses homologues canadiens.

Un projet de loi à l’horizon

Dans une déclaration transmise à La Presse, le bureau de la ministre Freeland a indiqué que le Canada estime qu’il importe de s’assurer que les grandes sociétés paient leur juste part en taxes et impôts dans les pays où elles brassent des affaires.

« Un accord multilatéral a toujours été la priorité et la préférence du Canada. Le Canada appuie fermement les efforts déployés à l’échelle internationale pour mettre fin à la course au moins-disant fiscal et pour faire en sorte que toutes les sociétés, y compris les plus grandes sociétés du monde, paient leur juste part », a indiqué Katherine Cuplinskas, conseillère principale et attachée de presse de la ministre Freeland.

Le gouvernement canadien a clairement indiqué, et ce, depuis plusieurs années, qu’il irait de l’avant avec sa propre taxe sur les services numériques si un accord mondial n’était pas conclu. Nous sommes résolus à protéger l’intérêt économique national du Canada.

Katherine Cuplinskas, conseillère principale et attachée de presse de la ministre Freeland

Selon nos informations, la ministre des Finances compte d’ailleurs déposer à la Chambre des communes un projet de loi pour mettre en œuvre cette fameuse taxe. Tout indique que ce projet de loi obtiendra l’appui du Nouveau Parti démocratique, qui a conclu un accord assurant la survie du Parti libéral qui est minoritaire aux Communes durant les votes de confiance.

Une source gouvernementale a aussi fait valoir que le gouvernement Trudeau avait exprimé son intention d’imposer une telle taxe en 2022 lors de la présentation de la mise à jour économique et financière. Et les libéraux ont aussi fait campagne en faveur de cette taxe lors des élections fédérales en 2021.

« Il y a des pays qui avaient déjà une taxe sur les services numériques avant les négociations à l’échelle de l’OCDE, comme la France, l’Italie et l’Inde. Et ces pays continuent d’imposer cette taxe même s’il a été décidé de reporter d’un an les pourparlers », a fait valoir cette source gouvernementale qui a requis l’anonymat.

« Provocation inutile »

Au cours des dernières semaines, le Conseil canadien des affaires et la puissante Chambre de commerce des États-Unis ont publiquement demandé à la ministre Freeland de revenir sur sa décision. D’autant plus que cette mesure doit entrer en vigueur au début de 2024, au moment même où s’amorce le cycle électoral de la présidentielle aux États-Unis. Les campagnes présidentielles donnent lieu à des propositions protectionnistes de la part des aspirants candidats.

Robert Asselin, premier vice-président au Conseil canadien des affaires et ancien proche collaborateur de l’ancien ministre des Finances Bill Morneau, maintient que le gouvernement Trudeau s’apprête à faire « un geste de provocation inutile ».

« C’est un geste de provocation inutile qui fera l’objet de représailles de notre plus important partenaire commercial. Et sur le plan multilatéral, le processus de l’OCDE n’est pas terminé. Pourquoi ne pas le mener à terme et prendre les décisions nécessaires après ? Tout ça parce que le gouvernement cherche des revenus désespérément. Ce n’est pas dans l’intérêt national du Canada que de froisser les Américains à la veille de la renégociation de l’ACEUM [nouvel accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique] », a soutenu M. Asselin.