(Ottawa) L’ombudsman canadienne pour l’entreprise responsable a annoncé mardi qu’elle ouvrait une enquête formelle sur l’entreprise de mode Ralph Lauren Canada concernant le recours présumé au travail forcé de Ouïghours dans ses chaînes d’approvisionnement.

Sheri Meyerhoffer explique dans un communiqué qu’il n’est pas clair si l’entreprise en fait assez pour éliminer dans ses chaînes d’approvisionnement les composants liés aux mauvais traitements infligés à la minorité ouïghoure en Chine.

Mme Meyerhoffer a également demandé à la société minière torontoise GobiMin d’améliorer ses politiques pour empêcher le recours éventuel au travail forcé dans ses chaînes d’approvisionnement.

« À la suite de la publication de ces rapports, le Bureau lancera une enquête sur la plainte contre Ralph Lauren Canada », indique un communiqué de l’ombudsman canadienne pour l’entreprise responsable.

La plainte contre Ralph Lauren Canada avait été déposée en juin 2022. Le rapport d’évaluation initiale de l’ombudsman indique qu’en réponse à ses questions, Ralph Lauren Canada a insisté en novembre sur le fait que son siège social est situé aux États-Unis, et qu’elle ne pouvait donc faire l’objet d’une enquête canadienne.

La société a plus tard détaillé, en juin dernier, les mesures mises en place pour prévenir les mauvais traitements dans sa chaîne d’approvisionnement.

« Le refus de Ralph Lauren Canada de participer à la phase d’évaluation initiale [de l’ombudsman], suivi d’un changement de dernière minute indiquant une volonté de participer et de collaborer au processus […] a rendu difficile l’achèvement de l’évaluation », lit-on dans le rapport publié mardi.

Mme Meyerhoffer souligne que « pour être efficace, la diligence raisonnable en matière de droits de la personne doit se faire dans un cadre ouvert, participatif et réceptif pour traiter les plaintes ou les griefs soulevés par les intervenants ».

Camps de « rééducation »

La Chine nie que tout travail forcé de citoyens ouïghours ait lieu dans ce qu’elle a appelé des centres de « détention » ou des camps de « rééducation » dans le Xinjiang. Pékin assure que ces centres sont destinés à éliminer la radicalisation islamique, après plusieurs attentats meurtriers en Chine.

Mais les Nations unies ont constaté en 2022 que la Chine avait commis de « graves violations des droits de la personne » contre les Ouïghours et d’autres communautés musulmanes, qui « peuvent constituer des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l’humanité ».

Le gouvernement américain a déclaré que les produits à base de coton et de tomates en provenance de Chine risquent fort d’impliquer le travail forcé ouïghour.

Dans son rapport, l’ombudsman Meyerhoffer cite deux fournisseurs de matières textiles pour Ralph Lauren. Des experts soutiennent que ces deux fournisseurs auraient acheté du coton du Xinjiang par le biais d’intermédiaires, ou auraient contribué au transfert de travailleurs forcés.

Mme Meyerhoffer note que Ralph Lauren a publié plusieurs déclarations d’entreprise et mené des rapports sur les droits de la personne et sondé ses propres fournisseurs. L’entreprise est également engagée en amont dans une démarche d’amélioration de ses données sur les fournisseurs.

Mais selon l’ombudsman fédérale, il n’est pas clair, d’après ces documents, à quel point les efforts de l’entreprise sont approfondis dans l’utilisation de la technologie de traçage de l’origine des fibres pour s’assurer que Ralph Lauren n’utilise pas de produits issus du travail forcé.

Mme Meyerhoffer a encouragé l’entreprise à entrer en médiation avec les plaignants, une coalition de groupes de défense des droits de la personne qui comprend de nombreuses organisations ouïghoures. Elle a déclaré que le processus pouvait se dérouler à huis clos, l’ombudsman examinant le résultat final.

Si Ralph Lauren avait collaboré à l’enquête au début du processus, les plaignants auraient été d’accord pour une médiation confidentielle – sans nommer publiquement l’entreprise, a noté l’ombudsman.

Une minière sous surveillance

Dans un autre rapport, Mme Meyerhoffer a également demandé à la société minière torontoise GobiMin d’améliorer ses rapports d’entreprise, suite aux allégations selon lesquelles elle aurait engagé des sociétés locales qui auraient eu recours au travail forcé dans une mine d’or du Xinjiang, avant de vendre la mine à une entreprise chinoise l’année dernière.

« GobiMin n’a pas non plus fourni de preuve indiquant qu’elle s’est retirée de manière responsable de cette zone à haut risque lorsqu’elle a vendu sa participation dans Xinjiang Tongyuan Minerals Limited », indique l’ombudsman dans ce deuxième rapport.

Le Bureau de l’ombudsman canadien pour l’entreprise responsable a été ouvert en 2018 et ses quatre « évaluations initiales » annoncées jusqu’ici concernent la région chinoise du Xinjiang, où vit la majeure partie de la population ouïghoure du pays. Mme Meyehoffer a fait état le mois dernier d’allégations similaires concernant Nike Canada et Dynasty Gold.

L’ambassade de Chine à Ottawa assure que Pékin n’autorise pas l’esclavage moderne.

« L’allégation de “travail forcé” au Xinjiang est un énorme mensonge inventé par les forces antichinoises pour dénigrer la Chine dans le seul but de déstabiliser le Xinjiang et de contenir le développement de la Chine, sous prétexte des soi-disant “questions de droits de la personne” », écrivait le mois dernier un porte-parole en réponse aux deux rapports antérieurs de Mme Meyerhoffer.

« Cela va totalement à l’encontre de la réalité au Xinjiang, où le coton et d’autres industries reposent sur une production mécanisée à grande échelle, et les droits des travailleurs de tous les groupes ethniques […] sont dûment protégés. »

Ceux qui critiquent l’agence fédérale soutiennent qu’elle ne dispose pas des outils dont elle aurait besoin pour être efficace, comme la possibilité d’exiger le dépôt de documents et d’assigner à comparaître des témoins.

Si l’ombudsman découvre qu’une entreprise n’agit pas de bonne foi, elle peut la faire exclure de tout soutien canadien. Mais son mandat ne lui permet pas d’imposer aux entreprises des amendes ou d’autres mesures punitives.

La Presse Canadienne a tenté sans succès d’obtenir les commentaires de Ralph Lauren Canada et de GobiMin.