Pour Jas Singh, la route vers la rentabilité ne cesse de se rétrécir.

« Le rythme est lent en ce moment, il n’y a pas beaucoup de chargements », déclare le propriétaire de JK Transport, une entreprise de camionnage établie à Brampton, en Ontario, que M. Singh a créée il y a 15 ans.

En plus de la diminution du nombre de chargements, les coûts ont grimpé en flèche alors que les taux de fret se sont effondrés.

Un nouveau tracteur routier lui coûte désormais 225 000 $, contre 135 000 $ en 2019, selon M. Singh. Le prix des remorques pour sa flotte de 15 semi-remorques a doublé pour atteindre 80 000 $. Et il ne peut facturer que 1,50 $ par kilomètre pour des livraisons qui lui ont rapporté 2,30 $ par kilomètre l’année dernière.

« Beaucoup de problèmes cette année », a déclaré cet homme de 45 ans lors d’un entretien téléphonique.

Il n’est pas le seul. L’ensemble du secteur canadien du camionnage est confronté à un marché chancelant, car les volumes de marchandises et les tarifs continuent de chuter – parallèlement à la baisse de la demande des consommateurs – par rapport aux sommets atteints pendant la pandémie.

Selon un rapport de Trucking HR Canada, l’industrie a perdu plus de 20 500 emplois de conducteurs – soit 7 % de la main-d’œuvre – au cours des trois premiers mois de cette année par rapport à la fin de l’année 2022.

« Alors que l’économie a quelque peu ralenti, il en est de même pour la demande de services de camionnage », a dit Craig Faucette, responsable des programmes au sein du groupe professionnel.

Si cette contraction atténue la pénurie de main-d’œuvre qui frappe le secteur depuis des années, elle ajoute de nouvelles difficultés à des parcs de véhicules qui luttent déjà pour leur survie dans un environnement concurrentiel.

Les Canadiens continuent de dépenser pour des services allant des billets d’avion à la gastronomie, mais leur envie d’articles expédiés dans une boîte a diminué depuis 2021 et 2022.

« À mesure que la situation s’est améliorée, nous avons constaté un léger ralentissement, car les gens sont revenus aux voyages, aux restaurants… au lieu d’acheter des articles pour rénover leur maison ou leur jardin », a affirmé Mike Millian, président de l’Association canadienne du camionnage d’entreprise.

L’inflation et la hausse des taux d’intérêt ont encore ralenti la demande des consommateurs. « Il faut moins de camions pour transporter les marchandises parce qu’il n’y a pas autant de biens à transporter. »

Les petits parcs en difficulté

Les petits parcs disposant de moins de ressources et de contrats sont particulièrement sujets à un ralentissement, qui survient alors que les consommateurs dépensent davantage pour les services et moins pour les articles ménagers.

« Beaucoup de petits parcs sont en difficulté, en particulier ceux qui dépendent de ce que nous appelons le marché spot », a expliqué M. Millian, en faisant allusion aux expéditions ponctuelles qui ne font pas l’objet de contrats à long terme ou de calendriers récurrents.

La baisse encore plus marquée des expéditions aux États-Unis a également réduit les revenus des camionneurs canadiens, qui peinent à trouver des chargements à ramener au Canada après avoir effectué des livraisons au sud de la frontière.

« Nous attendons un à trois jours pour que le chargement revienne », a déclaré M. Singh à propos de ses expéditions vers la Californie.

Au début du mois, le géant américain du camionnage Yellow Corp, vieux de 94 ans, s’est déclaré en faillite après des années de difficultés financières, une disparition que l’expert en chaîne d’approvisionnement John Gradek qualifie de « partie émergée de l’iceberg ».

« Un certain nombre de transporteurs se trouvent dans des situations financières très, très serrées », a déclaré M. Gradek, qui enseigne la gestion de la chaîne d’approvisionnement à l’Université McGill.

Le transport de charges partielles

Les entreprises de transport de charges partielles, qui déposent plusieurs cargaisons à différents clients en une seule fois, sont confrontées à un marché particulièrement concurrentiel.

Plutôt que d’avoir des contrats à long terme et des revenus réguliers sur lesquels s’appuyer, les « petites entreprises » font des offres quotidiennes pour les expéditions sur une série d’applications telles que Freightera et FreightSimple, a analysé M. Gradek.

Les grandes entreprises dépendent également des entreprises de transport de charges partielles. TFI International, le géant du camionnage établi à Montréal, qui compte plus de 25 000 employés et plus de 11 000 semi-remorques, tire près de la moitié de ses revenus de ce segment.

« Notre chiffre d’affaires pour le transport de charges partielles au Canada est en chute libre », a indiqué le chef de la direction Alain Bédard aux analystes lors d’une conférence téléphonique le 1er août, ajoutant que cette baisse inattendue n’est pas propre à cette division. Les revenus totaux ont chuté de 22 % au cours du premier semestre 2023 par rapport à l’année précédente, ce qui a incité la plus grande entreprise de camionnage du pays à abaisser ses prévisions financières pour la deuxième fois cette année.

Nous n’avions jamais prévu une perturbation aussi importante du marché au deuxième trimestre. Tout le monde traverse une sorte de période très difficile dans l’environnement du transport de marchandises.

Alain Bédard, chef de la direction de TFI International

Il a pointé du doigt les consommateurs : « Ils ne dépensent pas autant pour leur maison, n’achètent pas de téléviseur ou de meubles de terrasse. »

La grève de deux semaines des travailleurs portuaires de la Colombie-Britannique, le mois dernier, a ajouté une pierre à l’édifice dans tout le pays, a-t-il complété.

Dans le même temps, les marges bénéficiaires dans ce secteur surchargé se sont encore réduites. Aux États-Unis, les taux de fret pour les expéditions ponctuelles ont diminué de 23 % d’une année à l’autre au cours du deuxième trimestre et les taux pour les expéditions contractuelles ont chuté de 14 %, selon Coyote Logistics.

Avec des transports transfrontaliers constants, les entreprises de camionnage canadiennes observent généralement des tendances semblables à celles des États-Unis, selon les experts.

Les coûts d’exploitation grimpent en flèche, alors que les prix du carburant diesel se rapprochent des sommets atteints en 2022, que les taux d’intérêt sur les contrats de location de camions augmentent et que les failles de la chaîne d’approvisionnement persistent.

De retour à Brampton, M. Singh a résumé la situation : « Il n’y a pas de profit en ce moment. »