« Mon assiette d’agneau coûtait 54 $, ça n’avait vraiment plus de sens. » Conscient que le prix de certains plats sur son menu pouvait rebuter les clients, le restaurateur Matthieu Bonneau a coupé la poire en deux en réduisant ses portions… et ses prix.

« Ça arrivait souvent que je dépose sur la table des factures de 200 $ pour deux, souligne M. Bonneau, propriétaire du Coup monté, qui compte deux établissements dans Lanaudière. Maintenant, on est plus autour de 150 $ », ajoute celui dont les restaurants fonctionnent selon la formule « Apportez votre vin ».

À l’instar des fabricants qui ont réduit le format des boîtes de biscuits et de céréales au supermarché, voilà que plusieurs restaurateurs révisent à la baisse la grosseur des portions contenues dans les assiettes afin de joindre les deux bouts et d’attirer la clientèle, en baisse dans bien des établissements.

C’est le cas de Matthieu Bonneau qui a enregistré une diminution de 15 % de ses ventes, par rapport à la même période l’an dernier.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Les copropriétaires des restaurants Le Coup monté, Mathieu Perreault et Matthieu Bonneau

Le geste du restaurateur devrait être pris en considération par plusieurs, estime Robert Dion, fondateur et éditeur du magazine en ligne HRImag. « Le plus grand problème de l’industrie, c’est qu’il y a beaucoup d’approximation, peu d’évaluation précise. On se fie sur le prix du voisin, on se fie sur “l’à peu près”.

Cette option – que M. Dion assimile à la réduflation – permet une meilleure évaluation des coûts, estime-t-il. En ce moment, « on évalue mal » le prix d’une assiette, observe-t-il.

« Les prix évoluent rapidement. C’est très, très, très difficile de rester proche de son prix coûtant. »

M. Dion fait par ailleurs référence aux nombreuses fermetures qui frappent en ce moment le milieu de la restauration. Récemment, deux restaurants connus, Maison publique sur le Plateau Mont-Royal et Chez Sophie dans Griffintown, ont annoncé qu’ils mettaient la clé sous la porte. Raisons personnelles et exigences élevées du métier ont notamment motivé la décision des propriétaires. Il y a quelques semaines, Juliette & Chocolat et CRémy mettaient également fin à leurs activités.

[La réduction des portions], ça ne sauvera pas l’industrie. Mais ça peut apprendre à l’industrie à être plus proche de ses cents. Je ne connais aucune industrie qui serait prête à travailler avec 5 % de profit.

Robert Dion, fondateur et éditeur du magazine en ligne HRImag

Une autre restauratrice, Nathalie Côté, copropriétaire de La Brasserie Bernard et de Stella Pizzeria, réfléchit à ce qu’elle devra mettre en place avec son équipe « pour arriver ». « C’est un très gros enjeu présentement », affirme-t-elle. L’idée de réduire la taille des assiettes pour éviter que les prix ne montent en flèche fait également partie des options mises sur la table.

« C’est un outil parmi tant d’autres, souligne Martin Vézina, vice-président affaires publiques à l’Association restauration Québec (ARQ). Ça dépend de la vision que le consommateur va avoir. Il faut que le client ait l’impression qu’il en a pour son argent. »

Des clients rassasiés

« Je ne suis pas sûr que les clients vont se plaindre tant que ça s’il y en a moins dans l’assiette parce que l’on fait de plus en plus attention à notre santé, à notre ligne et à nos habitudes alimentaires, écrivait récemment Robert Dion, dans un billet publié sur le site de HRImag. En ce moment, le client s’attend à avoir un meilleur prix, pas à en avoir plus dans l’assiette. D’autant plus que l’augmentation de prix entraîne une augmentation proportionnelle du pourboire, ce qui a pour conséquence de rendre la facture impressionnante. »

Dans les restaurants de Matthieu Bonneau, la nouvelle formule mise en place il y a environ deux mois fonctionne bien. Selon lui, les clients qui se lèvent de table sont rassasiés. « Les gens n’ont plus d’argent et ils n’ont plus faim », résume-t-il.

Une augmentation des prix… qui aurait dû se faire avant

Par ailleurs, M. Dion affirme que les hausses sur les menus auraient été moins brutales si elles avaient été faites de façon progressive. « Un restaurateur m’a annoncé dernièrement qu’il n’avait pas augmenté ses prix depuis trois ans, mais qu’il n’avait plus le choix de le faire aujourd’hui, écrit-il dans son billet. Probablement que s’il avait augmenté ses prix au fur et à mesure, en se montrant davantage gestionnaire et sans craindre de déplaire à ses clients, il aurait en fin de compte imposé une hausse moins importante et il aurait éventuellement pris conscience plus tôt qu’il y a un coût rattaché à chacune des étapes. »

« Si on avait augmenté les prix quand c’était le temps, ajoute-t-il en entrevue, ça serait peut-être moins dramatique. Ça fait dix ans qu’on aurait dû commencer. »