Le ministre Pierre Fitzgibbon profitera de sa visite en Europe cette semaine pour tenter de faire débloquer un dossier épineux suivi de près par plusieurs pays membres de l’OTAN : la tentative du chantier maritime Davie de Lévis d’acheter le plus important constructeur de brise-glaces au monde, en Finlande.

Ce qu’il faut savoir

  • La guerre en Ukraine a forcé des industriels russes à mettre en vente le chantier naval qu’ils possédaient à Helsinki, en Finlande, où ont été construits la majorité des brise-glaces en service dans le monde.
  • Le chantier maritime Davie de Lévis a confirmé en mars qu’il négocie l’achat des installations et détient une « option exclusive » pour les acheter.
  • Le processus est épineux et le ministre Pierre Fitzgibbon tiendra des discussions pour tenter de faciliter la transaction à l’occasion de son voyage en Europe.

M. Fitzgibbon a raté la rentrée parlementaire à Québec cette semaine en raison d’une mission en Europe. La Presse a appris qu’il a convenu de discuter vendredi avec Wille Rydman, le nouveau ministre finlandais des Affaires économiques, au sujet du projet d’achat du chantier naval d’Helsinki par Davie.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Fitzgibbon, ministre de l'Économie et de l'Énergie

Le chantier Helsinki Shipyard Oy, situé dans la capitale finlandaise, a bâti à lui seul 60 % de la flotte mondiale de brise-glaces. En mars dernier, Davie avait confirmé être en négociation avec les propriétaires actuels et détenir désormais une « option exclusive » pour acheter les installations.

Remplacer les Russes

C’est la guerre en Ukraine qui a créé une occasion pour l’entreprise de Lévis. Le chantier naval appartenait autrefois à une société d’État russe, OSK, qui fournit des navires militaires à la marine russe. Après l’annexion de la Crimée par Moscou et l’imposition de sanctions occidentales contre OSK, en 2014, il devenait presque impossible pour une société d’État russe de continuer à construire des navires en Finlande. Les installations ont donc été cédées à deux hommes d’affaires russes, Risat Bagautdinov et Vladimir Kasyanenko. Sous leur gouverne, le chantier naval a construit et exporté plusieurs brise-glaces vers la Russie, son principal marché.

Mais les nouvelles sanctions encore plus sévères imposées à la Russie après l’invasion de l’Ukraine en 2022 ont coupé le chantier naval du marché russe. Le dernier brise-glace commandé par la société minière russe Norilsk Nickel en janvier 2022 n’était même pas autorisé à être exporté vers le pays de Vladimir Poutine. Les propriétaires du chantier ne trouvaient pas non plus de nouveaux clients en Occident désireux de faire affaire avec un constructeur contrôlé par des gens d’affaires russes. Ceux-ci ont donc décidé de se défaire des installations d’Helsinki.

L’achat par une entreprise canadienne permettrait au chantier de repartir sur de nouvelles bases avec de nouveaux débouchés au sein de l’alliance militaire de l’OTAN, à laquelle la Finlande s’est jointe en avril dernier. Plusieurs membres de l’alliance prévoient d’acheter des brise-glaces au cours des prochaines années et selon nos informations, certains clients potentiels ont déjà pris contact avec les parties pour savoir à quelle date la production de nouveaux navires pourrait se mettre en branle.

Dans le contexte actuel, une transaction aussi stratégique impliquant des actionnaires russes est toutefois très délicate. « Le processus est complexe et sujet à plusieurs mécanismes de contrôle et vérification », avait déclaré Paul Barrett, responsable des communications de Davie, dans un message envoyé à La Presse en mars.

Un ministre finlandais favorable

Le gouvernement du Québec appuie déjà Davie dans sa démarche et tentera lors de la rencontre de vendredi de voir s’il peut en faire plus pour que les négociations aboutissent. Le ministre Wille Rydman, qui rencontrera M. Fitzgibbon, est natif et résidant d’Helsinki, et a déjà manifesté son intérêt pour la survie du chantier naval, un employeur important dans la capitale finlandaise.

La Ville d’Helsinki a déjà pris des mesures importantes pour faciliter la transaction. Selon un communiqué diffusé par les autorités municipales le 22 juin dernier, elle a autorisé une extension du bail qui permet l’occupation de la zone portuaire par le chantier jusqu’en 2073.

Davie a déjà fait valoir que l’intégration d’experts finlandais en son sein pourrait l’aider dans ses projets de construction de brise-glaces destinés à la Garde côtière canadienne au chantier de Lévis : sept navires de nouvelle génération doivent être construits au cours des prochaines années au Québec.

« Si l’achat [du chantier d’Helsinki] est complété, le transfert d’expertise de pointe en matière de brise-glaces devrait certainement améliorer la capacité de Davie de livrer les navires qu’elle doit construire à Lévis pour le Canada à temps et dans le respect des budgets », a déclaré Paul Barrett en mars dernier.