L’imposition d’une amende peut-elle avoir la faveur populaire ? Lorsqu’il s’agit de punir les clients qui n’honorent pas leur réservation, les restaurateurs ont des alliés : 69 % des Québécois appuient l’idée d’imposer une pénalité « modeste », qu’ils estiment en moyenne à 17 $ par client, prélevée sur la carte de crédit de ceux qui laissent leur table vide… sans prévenir.

Ces données, révélées dans un sondage mené en septembre par Léger, donnent un appui de taille aux restaurateurs qui veulent sévir pour enrayer le phénomène. Les clients qui posent des lapins coûtent cher. Communément appelé « no show », le fléau entraîne en moyenne des pertes annuelles de près de 50 000 $ pour les établissements qui doivent y faire face, selon une enquête menée en début d’année par l’Association Restauration Québec (ARQ).

« Depuis le retour à la normale en 2022, et encore à ce jour, nous avons des appels des membres qui nous disent que ce problème-là n’est pas réglé, qu’il s’est aggravé », affirme son vice-président aux affaires publiques, Martin Vézina.

Moyen dissuasif

Devant l’ampleur du phénomène, l’association a eu plusieurs rencontres au cours des sept derniers mois avec l’Office de la protection du consommateur (OPC) afin de donner aux restaurateurs les coudées franches pour imposer un ticket modérateur aux clients délinquants. De cette façon, on prélèverait donc une somme d’argent sur la carte de crédit de ceux qui sont aux abonnés absents. Actuellement, selon la loi, les restaurateurs ne peuvent avoir recours à ce moyen dissuasif.

Or, de l’aveu même de M. Vézina, le délai d’attente pour l’analyse du dossier commence à être « un peu long ». On a donc décidé de sonder la population, en septembre, afin de prouver qu’il y avait une « acceptabilité sociale » à l’idée d’imposer une amende aux « mauvais » clients.

Selon le coup de sonde mené pour le compte de l’ARQ, 69 % appuient cette mesure, contre 25 % qui sont en désaccord. Une minorité de 6 % de répondants ne s’est pas positionnée sur la question.

Plus de la moitié estime qu’il serait raisonnable de prélever sur la carte de crédit des clients fautifs une somme variant entre 5 $ et 20 $, pour une moyenne de 17 $.

« On voulait documenter davantage le dossier, indique M. Vézina. À l’Office de la protection du consommateur, on peut penser que c’est une mesure anticonsommatrice, mais quand on voit l’appui qu’on recueille de la population, on voit que les gens comprennent la véritable raison pour laquelle on demande ça. C’est pour changer un comportement indésirable de la clientèle et non nécessairement se mettre riche avec les pénalités. »

« Comme le vol à l’étalage »

« Les gens sont vraiment derrière nous sur ce point-là, ajoute pour sa part Hugues Philippin, propriétaire du restaurant Chic alors !. Ils trouvent tous que ça n’a pas de bon sens. Eux-mêmes sont frustrés contre ça parce que c’est un peu comme le vol à l’étalage. Ça fait monter les prix pour tout le monde, illustre le restaurateur de Québec. C’est le même principe. Il faut se reprendre d’une manière ou d’une autre [en augmentant les prix sur le menu]. »

Selon lui, l’imposition d’une amende permettrait peut-être aussi d’éviter que les consommateurs réservent à quatre endroits différents pour une même soirée, créant ainsi un goulot d’étranglement dans plusieurs restaurants et entraînant la frustration de nombreux autres clients qui ne réussissent jamais à dénicher une table le samedi soir puisque les établissements affichent complet.

S’il dit comprendre la complexité que peuvent représenter des changements dans la loi, M. Philippin trouve lui aussi que le dossier commence à traîner.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Hugues Philippin, propriétaire du restaurant Chic alors !

C’est sûr que ça serait apprécié si ça allait un peu plus vite que ça. Ça fait longtemps qu’on en parle. On se retrouve quand même avec des pertes importantes.

Hugues Philippin, propriétaire du restaurant Chic alors !

Or, le ministère de la Justice ne semble pas être sur le point de faire une annonce sur le sujet. « Nous pouvons évidemment comprendre la frustration des restaurateurs et nous pouvons vous assurer que nous sommes en mode solution », a répondu par courriel Élisabeth Gosselin, directrice des communications au cabinet du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette.

« À notre demande, l’Office de la protection du consommateur (OPC) a rencontré l’Association Restauration Québec (ARQ) afin de discuter de ce phénomène et nous en sommes à analyser les pistes de solution. Nous invitons les citoyens à prendre le temps d’annuler leur réservation lorsqu’ils n’ont pas l’intention de se présenter. C’est la moindre des choses et c’est une question de respect envers nos entrepreneurs québécois. Nous n’avons rien à annoncer dans ce dossier pour le moment », a-t-elle toutefois ajouté.

Dans une réponse laconique, le porte-parole de l’OPC, Charles Tanguay, a simplement affirmé que l’organisme étudiait « différents scénarios visant l’encadrement des “no-shows” dans les restaurants. Pour le moment, aucun échéancier n’a été fixé pour faire état du résultat de ces analyses au ministre ».

Pendant ce temps, bien que la méthode soit illégale, certains restaurateurs ont déjà commencé à sévir. « Effectivement, il y a des exploitants qui actuellement le font, même si ce n’est pas légal, reconnaît Martin Vézina. Ce qu’on entend de la part de ceux qui le font, c’est que ça leur a permis d’enrayer le phénomène. Donc, ça prouve que notre proposition n’est pas farfelue. »