En difficulté financière, Olymel, responsable de 80 % de l’abattage de porcs au Québec, verse des primes à ses éleveurs partenaires alors qu’elle impose des baisses de prix à l’ensemble des 2500 producteurs de porcs de la province depuis 2022.

Depuis le 30 octobre dernier, Olymel et son propriétaire Sollio ont même bonifié les primes qu’elles versent à la centaine d’éleveurs avec lesquels elles entretiennent des liens d’affaires privilégiés, a appris La Presse.

Ce processus – faire payer la masse et récompenser un petit nombre – soulève des enjeux d’équité, soutient la fédération des éleveurs de porcs du Québec, dans un courriel envoyé à La Presse en réaction.

On ne peut pas demander aux éleveurs non membres du réseau de Sollio de baisser le prix qu’ils reçoivent pour aider leur filiale Olymel et, d’un autre côté, n’en redonner qu’aux membres de leur réseau. Notre organisation dénonce cette mesure puisqu’elle crée une iniquité entre les éleveurs et crée deux classes de production au sein de la filière.

Tristan Deslauriers, directeur des relations publiques et secrétaire général aux Éleveurs de porcs du Québec, dans un courriel

Olymel et Sollio ont commencé à verser des primes à leurs meilleurs clients en février dernier, à raison de 6 $ par tête pour les éleveurs qui achètent leur moulée chez Sollio. Ça représente un programme spécial d’une valeur de 1,5 million.

Depuis le 30 octobre, la prime a été augmentée de 3 $ par tête à 9 $ pour les éleveurs qui suivent les normes du bien-être animal. Pour les cochons engraissés selon la méthode conventionnelle, la prime a été haussée de 1 $ à 7 $ par tête.

La raison derrière le versement de cette prime est que la réduction du nombre de porcs produits par les coopératives a nécessairement entraîné des économies du montant global de prime auparavant versé. Ainsi, il a été décidé de redistribuer cette somme aux producteurs de cette filière pour soutenir nos membres dans un contexte extrêmement difficile.

Stéphanie Couturier, vice-présidente principale Communications chez Sollio, dans un courriel

Le porc en crise

Après des années fastes, les exportations canadiennes de porcs ont diminué ces dernières années à cause notamment de la fermeture du marché chinois. Le déséquilibre entre l’offre et la demande mondiale a entraîné une baisse de prix. Olymel et sa maison mère se sont retrouvés dans une fâcheuse situation financière.

Dans le secteur du porc frais, Olymel affirme avoir perdu 390 millions au cours des deux dernières années.

De son côté, Sollio a perdu 346 millions en deux ans. Elle a une dette à taux variable de 800 millions qui arrive à échéance en juin 2024. Le taux moyen pondéré sur l’emprunt s’est élevé à 8,38 % en 2022. À la suite de la hausse des taux d’intérêt, sa charge d’intérêt a augmenté de 135 % entre 2021 et 2022, pour atteindre 84 millions l’an dernier.

Pour se sortir du bourbier, Olymel a exigé des producteurs une baisse de prix. Le rabais a d’abord été de 40 $ pour 100 kg en avril 2022, lequel a été réduit à la mi-octobre 2022 à 25 $. En avril 2023, une nouvelle convention de mise en marché négociée a établi le rabais à 15 % du prix marchand américain. L’entente est en vigueur d’ici le 26 avril 2026.

Olymel a aussi annoncé six fermetures d’usines, dont l’abattoir de Vallée-Jonction et l’usine de découpe de Princeville, entraînant l’abolition de 1500 emplois.

Au prix actuel, le rabais représente un escompte d’environ 18 $ par tête. Les pertes financières des éleveurs sont compensées par le Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA), dont les deux tiers du coût des primes sont assumés par les contribuables québécois. En juin, la Financière agricole, qui administre l’ASRA, annonçait le versement d’une avance de 103,7 millions aux producteurs de porcs. En septembre, ce sont 55 millions de plus qui leur ont été versés. D’autres versements sont à prévoir ce mois-ci, en février et avril 2024, selon l’évolution de la situation.

En parallèle au rabais sur le prix du porc et toujours en réaction à la crise du secteur porcin, la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec – un tribunal administratif – a donné son feu vert en août à un programme volontaire de retrait de la production porcine pour une période de cinq ans. L’objectif est de réduire la production annuelle de 640 000 animaux. Avant cette baisse, le Québec produisait annuellement 6,8 millions de porcs d’engraissement.

Avec la collaboration de Daphné Cameron et de Marie-Eve Fournier, La Presse