Les prévisions des experts quant à la situation économique et au marché du travail n’en finissent plus de décaler face à la réalité. Il faut certainement une bonne dose de courage pour faire des prédictions aujourd’hui, sachant les fortes chances qu’elles soient inexactes demain.

Sur le marché du travail toutefois, des tendances prévisibles et tenaces convergent dans la même direction. Les entreprises dites zombies, celles qui survivent laborieusement et essentiellement grâce à une main-d’œuvre faiblement rémunérée et de généreuses subventions pendant la crise sanitaire, semblent en voie de disparaître.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) estime que 69 % des propriétaires de PME qui ont obtenu un prêt du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC) n’ont effectué aucun paiement jusqu’ici. Le sursis de presque trois ans aura été insuffisant pour relancer plusieurs d’entre elles, dans une économie de plus en plus orientée vers le savoir et la technologie, où la main-d’œuvre bon marché est peu susceptible de fournir un avantage concurrentiel durable.

Pour ces entreprises, le temps des Fêtes représente la croisée des chemins : prolonger leur survie ou sceller un bien triste sort pour patrons et employés. Les Québécois le sentent bien puisque 42 % d’entre eux craignent qu’un proche perde son emploi prochainement.

Les travailleurs voient fort probablement que des entreprises et secteurs comme celui des banques ont récemment opté pour les investissements en technologie afin de réduire les besoins en main-d’œuvre et d’éliminer des postes généralement bien payés.

Des purges et coupes cycliques sont communes dans plusieurs industries, mais il y a fort à parier que les postes abolis au profit de nouvelles technologies ne reverront jamais le jour.

On peut prévoir des besoins continus en formation et redéploiement de main-d’œuvre pour combler autant que possible les écarts entre les compétences requises pour les emplois disponibles et le profil des chercheurs d’emploi.

« Don’t look up »

Pendant ce temps, bien que la rareté de talents accable plusieurs industries, on comprend qu’une part importante des emplois disponibles sont dans des secteurs où l’on peine à convaincre les locaux d’accepter des postes précaires ou mal payés.

Par conséquent, nos associations patronales, avec le Conseil du patronat du Québec (CPQ) en tête, continuent de harceler nos gouvernements pour accélérer l’immigration dans le but d’accroître le bassin de main-d’œuvre. Aidant sa cause, le lobby réfute la notion de capacité d’accueil et prône une plus grande ouverture.

Mieux, puisqu’il n’a pas trouvé d’étude scientifique satisfaisante sur cette question, le « toujours plus » en matière d’immigration devrait aller de soi. On en comprend que l’anglicisation du Grand Montréal, le système routier en lambeaux et une crise du logement touchant des citoyens de toute origine ne seraient pas des indicateurs empiriques suffisants pour considérer l’existence d’une quelconque capacité d’accueil. Le patronat semble nous dire « Don’t look up », pour faire un parallèle avec ce film sur la réfutation du réel.

La palme revient toutefois au gouvernement Trudeau, dont le talent à cultiver les licornes en période apaisée n’a d’égal que son incapacité à agir en zone de turbulence.

Écartant les accusations tous azimuts sur son rôle coupable dans la crise du logement, il continue à édifier son univers parallèle en nous martelant que l’immigration massive favorisera la construction de maisons.

Pire, son imputabilité dans le monde réel lui échappe alors que la taille de son appareil gouvernemental a augmenté de 40 % depuis 2015, une contribution additionnelle au déséquilibre du marché du travail et à la rareté de talents.

Nul doute que notre époque est caractérisée par de nombreux défis technologiques, environnementaux, économiques et sociaux. La remise en question de la mondialisation heureuse, notre rapport à l’habitation et à notre empreinte écologique, le développement de technologies vertes dans une économie résolument axée sur le savoir, le maintien d’une société à la fois accueillante et déterminée au succès d’une nécessaire convergence culturelle, ces petits et grands bouleversements affectent nos organisations, le marché du travail et l’ensemble de la société civile.

Ainsi, la vigilance et la détermination de nos institutions seront indispensables pour assurer le développement du Québec, pour le bénéfice de tous les Québécois, au-delà des intérêts partisans de personnalités et groupes de pression parfois surexposés.