Une entreprise d’exploration gazière et pétrolière affirme que le gouvernement et son partenaire s’apprêtent à utiliser ses propres recherches et ses propres puits pour des projets de séquestration de carbone au Québec.

Le 16 novembre, le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, annonçait un investissement de 25 millions d’Investissement Québec dans Deep Sky. Cette entreprise, cofondée par le PDG de l’application de voyage Hopper Frédéric Lalonde, dit vouloir capter des milliards de tonnes de gaz carbonique dans l’atmosphère ou dans l’eau, puis l’enfouir sous terre dans des formations géologiques propices.

En plus de la société d’État, la Banque de développement du Canada et le Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario (OMERS) participent au financement de 75 millions, avec Brightspark Ventures et Whitecap Venture Partners.

Or, le PDG de Ressources Utica, Mario Lévesque, dit avoir proposé un projet semblable au gouvernement dès 2020.

Tant Québec que Deep Sky se défendent et assurent que les deux propositions n’ont rien à voir.

« Stupeur et colère »

Mario Lévesque a su l’été dernier que Québec comptait faire équipe avec une autre entreprise.

« Nous venons d’apprendre, avec stupeur et colère, que ce projet de séquestration de CO2 serait sur le point d’être entrepris par une autre société, du nom de Deep Sky, dans laquelle le gouvernement du Québec, via son bras financier, a investi », mentionne une lettre qu’il a envoyée au ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, en juillet dernier.

Ces déclarations surviennent dans un contexte pour le moins tendu avec le gouvernement, puisque Utica poursuit Québec depuis 2022 pour… 18 milliards de dollars.

L’entreprise reproche à l’État d’avoir encouragé ses efforts d’exploration pour trouver des hydrocarbures, avant de bannir totalement cette activité en 2022.

Le chef de la technologie et cofondateur de Deep Sky, Joost Ouwerkerk, a contacté Mario Lévesque en juillet pour lui parler de son projet.

PHOTO FOURNIE PAR MARIO LÉVESQUE

Mario Lévesque, PDG de Ressources Utica

Quand ils [Deep Sky] m’ont montré leurs images, le site d’injection, c’était mes puits !

Mario Lévesque, PDG de Ressources Utica

Selon lui, l’entreprise s’intéressait particulièrement à ses permis à Bécancour.

Le lendemain de leur rencontre, Joost Ouwerkerk envoyait à Mario Lévesque un courriel pour lui demander « la liste des puits dont Utica est propriétaire et un inventaire de ses données sismiques ». Puis deux semaines plus tard, il revenait à la charge en précisant être sur le point d’engager une firme pour évaluer le potentiel de stockage de puits.

« Aucun lien », dit Québec

« Il n’y a aucun lien entre les projets de Deep Sky et Ressources Utica », assure pourtant Mathieu St-Amand, directeur des communications au cabinet du ministre Fitzgibbon. Selon lui, l’entreprise n’a aucune intention d’exploiter des puits pour lesquels Utica détenait des permis.

Même son de cloche chez Deep Sky. Le cofondateur et président du conseil de l’entreprise, Frédéric Lalonde, faisait la présentation de son financement de 75 millions la semaine dernière, mais il n’était pas disponible lundi pour des commentaires. Le relationniste Louis-Martin Leclerc, de chez Tact, explique cependant que le but de la rencontre avec Utica était de « discuter de leur expertise ici au Québec ». « Cependant, nous n’avons jamais eu l’intention d’utiliser les anciens puits d’Utica pour l’injection de CO2. »

Québec ajoute que le projet d’Utica en 2020 « visait notamment l’exploitation d’hydrocarbures, ce qui est désormais interdit par la loi ».

Mario Lévesque reconnaît que ses plans incluaient un volet d’extraction de gaz naturel, aujourd’hui interdit. Il assure toutefois avoir présenté également une version qui misait seulement sur la vente de crédits de carbone, de chaleur et de saumure – de l’eau salée qui se trouve également dans les formations géologiques gazières qu’il a sous permis.

En plus de parler à trois ministères et à Investissement Québec, l’homme d’affaires aurait aussi eu une discussion à ce sujet avec un conseiller économique du premier ministre François Legault.

« À ce moment-là, M. Fitzgibbon, il trouvait que c’était une bonne idée, et il disait qu’il aimerait pousser ça, dit-il. C’était le message qu’on avait eu. Mais par la suite, il n’y a rien eu d’autre qui est sorti de ça. »

Deep Sky n’a jamais dit où elle comptait trouver les puits pour séquestrer son carbone. Ni l’entreprise ni Québec ne s’est avancé à ce sujet. « Plusieurs lieux sont évalués », mentionne simplement Mathieu St-Amand, au cabinet du ministre Fitzgibbon.

Un projet illégal ?

Mario Lévesque dit avoir « l’impression qu’il y a du favoritisme ». « Pourquoi ne pas vouloir parler à des gens qui connaissent la géologie, alors qu’on va de l’avant avec eux ? », demande-t-il.

La loi de 2022 bannissant les activités d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures ne permet que les « projets pilotes ». Mario Lévesque note donc que « la loi interdit d’aller de l’avant dans un projet commercial actuellement ».

« Il n’y a aucun retour possible sur l’investissement, sauf si tu as déjà une entente avec quelqu’un qui va faire en sorte que ça va devenir permis. »

La méthode Utica

La technique que Ressources Utica envisagée pour séquestrer le carbone consiste à injecter le gaz dans des aquifères salins – des poches souterraines où se trouve de l’eau salée. À haute pression et en contact avec les minéraux et la chaleur, le carbone doit en principe se solidifier, et rester coincé à jamais sous terre.