(Dubaï, Émirats arabes unis ) La hausse des taux pour freiner l’inflation nuit à la lutte contre les changements climatiques en détournant les pays en développement des énergies renouvelables, ce qui suscite des inquiétudes au sommet des Nations unies sur le climat à Dubaï.

Même si on reconnaît la nécessité des taux élevés, des voix s’élèvent à la COP28 pour souligner l’impact négatif de ces efforts sur les pays pauvres. Ce sont les plus vulnérables aux changements climatiques et ils doivent décider dans quels systèmes énergétiques investir, un choix crucial.

Les pays riches et les agences internationales doivent être plus créatifs pour diriger des fonds vers les pays d’Afrique et d’Asie confrontés aux taux d’intérêt élevés, affirment des responsables. Sans cela, on risque de rater l’occasion de minimiser les futures émissions de CO2 alors que des millions de personnes dans ces pays sortent de la pauvreté et consomment plus d’énergie.

« C’est une période très dure pour de nombreux pays », dit Kristalina Georgieva, économiste et directrice générale du Fonds monétaire international.

Le soutien international est absolument primordial pour les aider à garder le cap. C’est dans leur intérêt et dans le nôtre. C’est dans l’intérêt de tous. Car où nos émissions augmentent-elles ? Dans ces pays.

Kristalina Georgieva, directrice générale du Fonds monétaire international

Les banques centrales du monde entier ont décrété de rapides et fortes hausses des taux d’intérêt pour combattre la plus forte flambée de l’inflation depuis près de 30 ans. Elle a ralenti en 2023, mais les taux devraient rester élevés pendant des années encore.

Double défi

La hausse du coût d’emprunt fait plus mal aux projets d’énergie renouvelable qu’aux projets de combustibles fossiles. Car presque tout l’investissement d’un parc éolien ou solaire doit se faire au début, alors qu’une grande partie des coûts dans une centrale électrique au charbon ou au gaz est le coût du combustible, qui est étalé dans le temps.

Les taux d’intérêt élevés pèsent aussi sur les budgets des pays en développement tout en faisant baisser la valeur de leurs monnaies.

PHOTO RAFIQ MAQBOOL, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Presque tout l’investissement d’un parc solaire ou éolien (comme ces éoliennes, en Inde) doit se faire au début du projet.

Ces tensions surviennent alors que ces pays doivent dépenser des centaines de milliards pour s’adapter au réchauffement planétaire tout en accroissant leur production d’énergie afin d’élever le niveau de vie de leur population.

Ce double défi inquiète les dirigeants politiques et économiques réunis à Dubaï.

« Le grand problème, c’est que les pays en développement n’ont aucun contrôle sur les crises qui les touchent, note William Asiko, vice-président de la Fondation Rockefeller pour l’Afrique. Ces crises font qu’aujourd’hui, il est plus facile d’investir dans les combustibles fossiles. »

Selon une analyse récente, si les taux d’intérêt passaient de 3 % à 7 %, le coût d’une nouvelle centrale au gaz n’augmenterait que de façon marginale. Mais cela ferait augmenter du tiers le coût d’un nouveau parc solaire ou éolien en mer.

Souvent, avant même le début des travaux, le prix de l’électricité vendue par des producteurs verts est déterminé par des contrats à long terme. Cela rend leurs projets très sensibles à la hausse des taux d’intérêt et à l’inflation.

Partout dans le monde, la hausse des taux d’intérêt fait monter le coût des projets d’énergie propre, signale l’Agence internationale de l’énergie : parcs éoliens en mer, centrales nucléaires, réseaux électriques, tous en souffrent. L’effet est le même pour le propriétaire d’une maison voulant acheter une thermopompe ou l’automobiliste qui magasine une auto électrique.

L’indice S&P Global Clean Energy, composé des actions de grandes entreprises mondiales du secteur des énergies renouvelables, a baissé de 28 % depuis janvier. Aux États-Unis, la hausse des taux a contribué à faire avorter un projet nucléaire dans l’Idaho. Elle détériore aussi les projections du secteur résidentiel de l’énergie solaire, qui pourrait se contracter en 2024 pour la première fois depuis des années.

Inquiétudes à long terme ?

Selon de nombreux experts, les taux élevés ne freineront pas la croissance à long terme des énergies renouvelables. Leur prix a monté un peu récemment, mais après 10 ans de fortes baisses ; alors le solaire et l’éolien restent compétitifs par rapport aux combustibles fossiles.

Les prévisionnistes estiment encore que les énergies renouvelables dépasseront le charbon comme première source d’électricité au monde d’ici 2030. Et l’Europe veut encore se détourner des énergies fossiles – surtout du gaz russe – ne serait-ce que pour se prémunir d’éventuelles hausses de prix.

Mais dans les pays en développement, les taux d’intérêt ébranlent les énergies renouvelables, ce qui pourrait avoir des conséquences durables pour le climat.

En Afrique subsaharienne, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, le coût du capital d’un projet solaire à grande échelle peut être de deux à trois fois plus élevé qu’aux États-Unis ou en Chine, selon les données des Nations unies.

Les prêteurs exigent souvent une prime pour ces investissements plus risqués. Et la hausse des taux d’intérêt aggrave ce risque.

« Ça réduit le rendement du capital investi de nombreux projets d’énergie renouvelable. Les investisseurs le savent et montrent moins d’intérêt », observe Jessica Obeid, responsable de la transition énergétique chez SRMG Think Research and Advisory, une société de conseil qui a publié lundi lors de la COP28 une étude sur les défis du financement des dépenses liées au climat au Moyen-Orient.

Quand les banques centrales des pays riches augmentent leurs taux d’intérêt, cela attire du capital hors des pays en développement. Il devient plus intéressant d’investir dans des produits à faible risque, comme les bons du Trésor américain. Ce flux monétaire hors des pays pauvres réduit aussi la valeur de leurs monnaies.

Au sommet de Dubaï, des pays plaident pour un engagement à tripler la quantité d’énergie renouvelable installée dans le monde d’ici à 2030. Mais la hausse des coûts de financement rend cet objectif plus ardu, souligne Sumant Sinha, PDG de ReNew Energy, le plus grand développeur d’énergies renouvelables en Inde.

« La nécessité de l’énergie renouvelable augmente, les objectifs augmentent, mais la capacité à les atteindre diminue », dit M. Sinha.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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