Cette semaine, la femme d’affaires Danièle Henkel, ambassadrice de la francophonie économique pour le Conseil du patronat du Québec et ex-dragonne, répond à nos questions sur le leadership

Depuis 2019, vous invitez les entreprises à découvrir les programmes pour favoriser l’embauche de personnes avec un handicap. Quels sont vos constats après cinq ans ?

Lorsqu’on a commencé, on parlait de plus de 250 000 personnes avec un handicap qui cherchaient du travail. Aujourd’hui, elles sont 100 000. Cette campagne est donc un succès, mais il y a encore du travail à faire. On observe un regain de la part des entreprises et pas seulement parce qu’elles ont besoin de main-d’œuvre. Plusieurs n’avaient pas compris le processus, ne savaient pas qu’il y a de l’accompagnement. Car une des choses les plus difficiles, c’est de savoir comment intégrer l’employé avec un handicap pour qu’il soit bien et qu’il reste. Certains ont déjà souffert de préjugés par le passé, alors on leur dit : levez la main, exposez votre blocage et on va trouver une solution. Ensuite, il faut faire en sorte que les autres employés soient à l’aise. Il y a des organisations qui travaillent avec l’Office des personnes handicapées du Québec partout à travers la province et qui ont des consultants. C’est gratuit.

Une étude de la Banque de développement du Canada et du Centre d’innovation de l’Université de Montréal révélait l’automne dernier un déclin de l’entrepreneuriat au pays. Dans le contexte économique actuel, est-ce le bon moment pour se lancer en affaires ?

Vous vous souvenez de la crise financière de 2007-2008 ? C’est dans ce contexte économique que j’avais décidé qu’il était temps de me bâtir un siège social et de quitter mes locaux en location. Je me suis donc tournée vers mes banquiers, fiscalistes, comptables, économistes, des gens qui savent si c’est le moment ou pas de faire les choses. Tout le monde a levé les drapeaux rouges en me disant : est-ce que vous réalisez que l’on entre dans une récession qui n’a pas de fond ? Attendez deux ans et restez en location ! Mon conjoint était du même avis. Or, pour une raison que je ne peux pas expliquer, je savais qu’il n’y aurait jamais de bon moment. J’avais trouvé un terrain situé au croisement d’autoroutes, une localisation phénoménale, et je visualisais que ça allait boomer. J’ai dit, bâtissons ! C’est le plus beau geste que j’ai fait. Le REM passera ici et le terrain a pris beaucoup de valeur. Il n’y a jamais de bon moment pour se lancer en affaires.

Si on offre aux entrepreneurs plus de programmes qu’avant, pourquoi sont-ils moins nombreux ?

Parce qu’on n’ose pas prendre de risques avec nos jeunes. On a encore beaucoup de préjugés du type : elle n’a pas l’air sérieuse, elle n’a pas la capacité, lui ne va pas réussir parce qu’il y a de la compétition. Mais si on les aide à préparer le terrain, parce que le produit a du sens et qu’il a un impact, ça peut aboutir à un succès. Notre système financier ne correspond plus aux risques que l’on doit prendre pour aider ceux qui veulent créer. Les grandes entreprises ont leur place, mais nos gouvernements oublient les PME, le vrai poumon du Québec, en particulier la petite boulangerie du coin, le coiffeur, le boucher. C’est toute une communauté que l’on porte avec des emplois que l’on offre à proximité, qui peut s’autosuffire et qui a un impact positif pour l’environnement. Comment ose-t-on les étouffer ?

De jeunes garçons s’intéressent actuellement au discours misogyne. Est-ce que cela risque de se répercuter dans le marché du travail ?

Il n’y a rien dans une société qui surgit comme ça, parce qu’une fois que tu as une pointe d’information, ça veut dire que le courant est déjà profond et ne vient pas juste d’une figure publique. Mon inquiétude, c’est que nous sommes dans un balancier qui est là où on a l’impression qu’on ne parle que des femmes et du leadership au féminin. Je vais dans les écoles, dans les cégeps et dans les universités, où de jeunes hommes me disent : « On ne sait pas quoi faire, on ne sait plus où on se situe, vous parlez de choses qu’on ne comprend pas, on ne saisit pas votre histoire. » Je leur explique que s’ils voient des mouvements « féministes », ce n’est pas parce qu’on veut les abattre, les éliminer et les éloigner, mais qu’on veut justement qu’ils comprennent ce qui s’est passé, pourquoi on parle du droit des femmes de s’accomplir et pourquoi les femmes doivent participer à l’économie. Il faut prendre le temps de bien leur expliquer les choses, et les femmes doivent aussi s’épauler.

Selon vous, quel est le véritable leadership, la véritable influence ?

Souvent, on n’a pas aimé mon style, on a jugé la personne que je suis sans me connaître, on ne s’est pas préoccupé de vouloir comprendre ce qui me motivait. Est-ce que ça m’a arrêtée ? Non. Ça m’a fait mal. On ne peut pas plaire à tout le monde. J’ai donc continué de faire ce que je faisais et j’ai touché des millions de personnes. Ça, c’est la véritable influence. Ce n’est pas parce que je suis dans un clan ou dans un groupe. C’est parce que j’ai maintenu envers et contre tous une vision, une façon de faire qui est propre à moi, et autant que je sache, je n’ai jamais dérogé à mes valeurs.