Cesser de jouer aux écureuils et écouler ses stocks avant de commander de nouveaux articles, mettre la pédale douce sur les innovations et penser petit, en diminuant la taille des salles à manger marquées par une baisse du nombre de clients, voilà comment plusieurs entrepreneurs assureront leur survie au cours des prochains mois.

Qu’ils aient bénéficié ou non du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC) – dont le remboursement devait se faire jeudi –, quincailliers, restaurateurs ou détaillants savent qu’ils devront affronter des vents de face au cours des prochains mois. Plusieurs réfléchissent donc à la façon dont ils géreront leur entreprise.

Vérifier les « fonds de tablettes »

L’époque où les détaillants commandaient de façon compulsive des articles à leurs fournisseurs par crainte d’en manquer semble désormais révolue. Il faut d’abord écouler les climatiseurs et les jardinières commandés en quantité astronomique pendant la pandémie, illustre Dominique Bélanger, propriétaire de la Quincaillerie C. Bélanger à Montréal. Dans son magasin, l’année 2024 sera marquée par une gestion serrée des inventaires. Ce n’est plus le temps de jouer aux écureuils, selon lui.

On va épuiser ce qu’on a et on va recommander après. Il faut regarder au fond des tablettes et voir ce qui a été acheté en pandémie qui n’a toujours pas été vendu.

Dominique Bélanger, propriétaire de la Quincaillerie C. Bélanger

À Terrebonne, Sylvie Masson, propriétaire de la boutique L’Aquavin du Cellier, joue également de prudence dans la gestion de son inventaire. Et elle l’a appris à la dure. Celle qui vend notamment des bonbonnes d’eau, des refroidisseurs, mais également des tasses et des verres personnalisés, a été contrainte de quitter son local de 1800 pieds carrés en raison de la hausse du loyer.

Et l’entrepreneure compte parmi ceux qui n’ont pu rembourser le gouvernement, le 18 janvier. Son institution financière lui a refusé un prêt. Mais comme elle a entrepris des démarches, elle a jusqu’en mars pour tenter de rembourser. Malgré tout, elle a l’intention de tenir le coup… en conservant en magasin les articles qui se vendent bien. « J’ai moins de stock qu’avant. Mon fils a tout mesuré au pouce carré près. »

Des salles à manger plus petites ?

En restauration, secteur marqué notamment par la désertion des clients et par la hausse des prix, les salles à manger de 350 places ne semblent plus avoir leur raison d’être. « Dans les années 80, on pouvait avoir des restaurants à 500 places, aujourd’hui, ça devient très difficile à gérer et le prix au pied carré n’est plus le même », explique le président et chef de la direction du Groupe St-Hubert, Richard Scofield.

On travaille avec moins de clients aujourd’hui, donc on a besoin de moins d’espace. Donc oui, on veut travailler avec moins de pieds carrés pour essayer de rentabiliser et mieux protéger le modèle d’affaires de nos franchisés.

Richard Scofield, président et chef de la direction du Groupe St-Hubert

S’il assure ne pas avoir l’intention de « couper en deux » les restaurants existants, son équipe et lui appliqueront le principe « assez de places, mais pas trop » lorsqu’il y aura des relocalisations ou de nouvelles constructions. Le chiffre magique : entre 150 et 200 places (incluant la terrasse) maximum.

Du côté de Benny & Co. qui exploite à la fois un concept avec salle à manger et un concept express avec seulement quelques places assises, on réfléchit également aux années à venir. « On se la pose, la question », reconnaît Élisabeth Benny, vice-présidente marketing et relations publiques. L’entreprise ne veut pas faire une croix sur ses salles à manger, mais prend le temps d’observer le comportement de ses clients qui demeurent fidèles à leurs plats de poulet.

« Et oui, c’est vrai qu’il y a une grosse partie de notre volume qui est consommé à l’extérieur du restaurant », observe le directeur général Nicolas Filiatrault, en faisant référence à la popularité des livraisons et des commandes à emporter.

Avec 79 restaurants au Québec, la chaîne familiale spécialisée dans le poulet rôti – qui vise éventuellement la centaine d’établissements – veut notamment s’attaquer aux petits marchés où elle n’est pas encore présente. « Le plus petit concept [express] va nous permettre de répondre à un besoin et servir une clientèle qu’on n’aurait pas pu servir autrement », ajoute-t-il.

Le professeur à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) Robert Laporte se pose littéralement des questions sur la pertinence d’une salle à manger pour certains restaurateurs. « Dans cet esprit, on peut remettre en question la pertinence de la salle à manger ou même s’orienter vers l’exploitation d’une cuisine dans un espace partagé avec d’autres restaurateurs, de manière à réduire ou éliminer des coûts qui ne servent pas l’ADN de l’entreprise. Les établissements à espace partagé comme Le Central à Montréal figurent parmi les exemples.

« L’idée, c’est de mieux travailler avec les contraintes, voire de transformer les contraintes en proposition de valeur », mentionne-t-il dans un texte qu’il a fait parvenir à La Presse.

Pas de folie

La prudence est également le mot d’ordre lorsqu’il est question des opérations, estime Dominique Bélanger. « On n’innovera pas avec des caisses libre-service ni avec des étiquettes automatiques. On va plus faire de l’entretien, des changements d’ordinateurs lorsqu’ils sont désuets. »

Essayer de nouvelles choses ? « Ce n’est pas le temps », répond-il.

« Ce qui attend les entrepreneurs, ce sont plusieurs mois d’incertitude, rappelle Nathaly Riverin, fondatrice et PDG de Think tank en entrepreneuriat. Et quand on a de l’incertitude, il faut aller chercher de la certitude là où on est capable d’en avoir. Ce qu’on conseille beaucoup à nos clients, c’est d’avoir une gestion très serrée de leurs finances et de leurs prévisions. »

Qu’elles aient reçu de l’aide gouvernementale ou non, Mme Riverin s’attend à ce que plusieurs entreprises déclarent forfait cette année parce que le contexte économique a changé. « La question à se poser, c’est : est-ce que j’ai encore la bonne entreprise ? [Dans certains cas], peut-être que fermer l’entreprise, c’est la bonne solution. »

Le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes

Au plus fort de la pandémie, Ottawa a créé le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC) afin de donner un coup de pouce aux entreprises. Plusieurs d’entre elles ont reçu la somme maximale de 60 000 $. De cette somme, pour obtenir un pardon de 20 000 $ – donc pour conserver une partie en subvention –, elles devaient rembourser 40 000 $ au plus tard le 18 janvier 2024. Cette échéance avait d’abord été fixée au 31 décembre 2022, puis remise d’un an. En septembre, le gouvernement fédéral l’a une fois de plus repoussée, mais de quelques semaines cette fois, jusqu’en janvier. Les entreprises qui n’ont pu payer la somme de 40 000 $ à la date prévue ont perdu leur subvention et auront jusqu’au 31 décembre 2026 pour rembourser 60 000 $ à 5 % d’intérêts.