(Ottawa) La Banque du Canada aura de la difficulté à réduire l’inflation si les gouvernements ne contrôlent pas leurs dépenses, a mis en garde son gouverneur, Tiff Macklem, jeudi. Il a fait cette déclaration alors qu’on prévoit une hausse des dépenses autant à Québec qu’à Ottawa. La banque centrale a laissé son taux directeur inchangé la semaine dernière, mais a ouvert la porte à une éventuelle baisse.

Ce qu’il faut savoir

La Banque du Canada a maintenu son taux directeur à 5 % la semaine dernière dans l’espoir de continuer à faire baisser l’inflation.

Elle a toutefois ouvert la porte à une baisse de taux pour la première fois depuis 2022, un changement de ton important.

Une augmentation des dépenses des gouvernements pourrait contrecarrer ses efforts. Or, on prévoit des hausses de dépenses autant à Québec qu’à Ottawa.

« Si les dépenses publiques réelles à tous les niveaux de gouvernement augmentent sensiblement au-dessus de 2 %, il sera alors difficile de ramener l’inflation à 2 % », a-t-il reconnu lors de son témoignage dans le cadre du comité permanent des finances de la Chambre des communes.

La Banque du Canada estime que les dépenses des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux seront quelque peu au-dessus de cette limite au cours de l’année à 2,25 %, ce qui est « déjà à la limite supérieure » du potentiel de croissance de l’économie. Si ces dépenses augmentaient davantage, elles viendraient en quelque sorte contrecarrer son travail puisqu’elle tente de réduire l’inflation. Cela pourrait donc retarder une éventuelle baisse des taux d’intérêt.

Nous savons que les Canadiens veulent voir l’inflation diminuer. Ils en ont assez de voir les prix augmenter si rapidement et nous savons qu’ils aimeraient voir les taux d’intérêt baisser. Et nous aussi.

Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada

Dans sa dernière mise à jour économique, la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, prévoyait une augmentation des dépenses de 2,7 milliards en 2023-2024 et de 3,4 milliards en 2024-2025. Le total s’élevait à 20,8 milliards sur six ans.

À Québec, le gouvernement Legault prévoit aussi que les dépenses des ministères vont augmenter plus que prévu en raison des hausses salariales de 17,4 % en cinq ans accordées aux employés de l’État. Les salaires de 600 000 travailleurs bondiront de 8,8 % cette année – en tenant compte de la hausse de 6 % accordée pour 2023 et de celle de 2,8 % applicable au 1er avril. Rappelons que la masse salariale représente la majeure partie des dépenses des ministères.

Avant l’annonce de l’entente de principe avec le Front commun syndical sur les salaires, Québec prévoyait que ses dépenses allaient croître de 2,3 % pour l’année 2023-2024, de 1,6 % en 2024-2025, de 3,2 % en 2025-2026 et de 3,1 % en 2026-2027.

Pas de date au calendrier

Impossible pour le gouverneur d’encercler une date pour la prochaine baisse du taux directeur. M. Macklem s’attend à ce qu’il diminue progressivement, mais de façon inégale. La Banque du Canada ira de l’avant dès qu’elle aura l’assurance que l’inflation est en voie d’atteindre 2 %.

Comme chacune de ses décisions affecte l’économie durant un an et demi, le gouverneur a indiqué que les taux baisseront graduellement dès que la tendance se fera sentir.

Actuellement, la politique monétaire fonctionne et il faut continuer à la laisser fonctionner.

Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada

Le taux d’inflation a diminué à 3,9 % en 2023 comparativement à son sommet de 6,8 % en 2022. Il demeure beaucoup plus élevé dans certains secteurs, comme le logement (7 %) et l’alimentation (5 %).

Questionné sur la crise du logement, M. Macklem a rappelé que la banque centrale ne peut pas la régler en abaissant le taux directeur étant donné qu’il y a un problème d’offre.

Le rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) sur le marché locatif dévoilé la veille fait état d’un taux d’inoccupation plus bas que jamais à 1,5 % à l’échelle du pays.

« Ce sont les politiques centrées sur l’offre qui vont résoudre le problème, a-t-il souligné. Les politiques centrées sur la demande vont aggraver le problème, car les prix vont augmenter. »

Le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP) est un exemple de politique centrée sur la demande. M. Macklem a ajouté que les politiques pour agir sur l’offre vont requérir « un niveau inhabituel de coopération » entre tous les ordres de gouvernement.

Le gouvernement a noté que la guerre entre Israël et le Hamas, les attaques des houthis contre des navires de marchandises en mer Rouge et la sécheresse qui touche le canal de Panama n’ont pas eu « de grands effets » inflationnistes jusqu’à maintenant. Mais ils pourraient finir par faire grimper le prix du pétrole et des biens de consommation.

L’élimination de la taxe fédérale sur le carbone, comme le promettent les conservateurs, ferait diminuer l’indice des prix à la consommation de 0,6 % d’un coup. Chaque hausse prévue de cette taxe, qui ne s’applique pas au Québec, ajoute 0,15 % annuellement à l’inflation.

Avec la collaboration de Tommy Chouinard et de Karim Benessaieh, La Presse

L’inflation climatique

Il est difficile pour la Banque du Canada de prévoir quel sera l’impact des changements climatiques sur l’inflation. Plus il y aura d’évènements météo extrêmes, « plus ils se manifesteront directement dans les prix des denrées alimentaires », a indiqué M. Macklem. La banque centrale n’a pas encore ajouté l’effet des changements climatiques dans le modèle qu’elle utilise pour faire ses prévisions, mais elle est en train d’évaluer comment l’inclure pour comprendre leur effet sur l’économie.