La filière des batteries est synonyme d’espoir chez des promoteurs québécois de projets d’exploitation de phosphate – un composé que l’on retrouve dans une famille des batteries lithium-ion. Les prix de la matière sont vigoureux, on anticipe une demande, mais un point d’interrogation subsiste : qui seront les bailleurs de fonds ?

Deux entreprises sont particulièrement actives au Saguenay–Lac-Saint-Jean par les temps qui courent. Arianne Phosphate, derrière la mine de phosphate de Lac Paul, vient d’entamer une étude de préfaisabilité afin de construire un complexe de production d’acide phosphorique purifié, nécessaire dans la fabrication des batteries lithium-fer-phosphate (LFP). L’autre, First Phosphate, se trouve en phase de forage dans un projet, à 70 kilomètres du port en eau profonde de Saguenay.

Chacune de ces entreprises a encore beaucoup d’étapes à franchir avant de voir son projet sortir de terre. On espère convaincre les investisseurs.

« C’est plusieurs centaines de millions de dollars pour l’usine, concède Raphaël Gaudreault, chef des opérations chez Arianne Phosphate, en entrevue téléphonique. On pense que nous deviendrons encore plus intéressants en étant intégrés verticalement. »

La mise en place d’un écosystème nord-américain des batteries dans l’espoir de faire contrepoids à la Chine a influencé l’entreprise, souligne M. Gaudreault. Depuis près d’une décennie, Arianne Phosphate tente de démarrer son projet de mine de phosphate de Lac Paul, un complexe qui serait situé à environ 200 kilomètres au nord du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Ce démarrage se fait toujours attendre, même si l’entreprise a reçu les autorisations gouvernementales nécessaires en plus d’être passée à travers le processus du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Initialement, ce projet de 1,55 milliard US misait sur le créneau des fertilisants. Au tournant de 2015, le prix de la tonne de phosphate a entamé un long cycle baissier. Il est passé sous la barre des 100 $ US, ce qui était insuffisant pour le promoteur.

Le portrait est bien différent aujourd’hui avec un prix d’environ 350 $ US la tonne.

« Il y a eu la pandémie, la guerre en Ukraine et la Chine qui a réduit ses exportations de phosphate parce que le pays en a besoin pour produire des batteries LFP, dit M. Gaudreault. On constate une ouverture dans le marché. Trouver un ou des partenaires financiers, c’est la composante sur laquelle on travaille. »

Une usine de production d’acide phosphorique purifié (APP) serait construite dans la zone industrialo-portuaire de Saguenay. Sa capacité annuelle serait de 350 000 tonnes d’APP de « qualité batterie ». Cette capacité pourrait répondre à « une part importante des besoins occidentaux », affirme la société. On produirait également de l’acide phosphorique pour le créneau des engrais et des aliments pour animaux.

Répliquer à la Chine

La Chine produit environ 90 % des batteries LFP dans le monde. Cette famille gagne en popularité dans le cadre du virage électrique des constructeurs automobiles parce qu’elles sont moins coûteuses à produire. Leur capacité de stockage d’énergie est cependant moins élevée, ce qui signifie qu’elles doivent être rechargées plus fréquemment.

Selon Benchmark Mineral Intelligence, le secteur automobile représente environ 5 % de la demande d’APP. Cette proportion devrait passer à 24 % d’ici 2030, souligne la firme londonienne, dans une étude diffusée en octobre dernier.

Chez First Phosphate, un protocole a été conclu pas plus tard que le 25 janvier dernier avec American Battery Factory (États-Unis) et Integrals Power Limited (Royaume-Uni) dans le but de produire des matériaux de cathodes – le pôle positif d’une batterie – pour les batteries LFP en territoire nord-américain. Il n’a pas été possible de savoir où serait érigée l’usine, qui pourrait produire jusqu’à 40 000 tonnes par année.

Pour le professeur de génie chimique à l’Université Concordia Karim Zaghib, les projets d’Arianne Phosphate et de First Phosphate sont intéressants. Il y a cependant un enjeu de taille à surmonter, affirme celui qui est considéré comme l’un des architectes de la filière québécoise des batteries.

« Quand on parle de projets miniers, on a besoin de beaucoup d’argent, explique le professeur, qui a aussi travaillé 25 ans chez Hydro-Québec. Les gouvernements devront mettre de l’argent avec les promoteurs. Est-ce qu’ils vont appuyer tout le monde ? Mais les batteries LFP représentent un créneau intéressant. Elles seront utiles dans le stockage d’énergie, pas seulement pour les véhicules électriques. »

Contexte difficile

Malgré l’engouement entourant la filière des batteries, plusieurs producteurs de minéraux critiques ont des maux de tête depuis un an en raison de la chute des prix. Dans le créneau du lithium, par exemple, le prix du spodumène, qui valait 7640 $ US la tonne au début de 2023, se négocie aux alentours de 940 $ US la tonne. Dans ce contexte, Sayona, qui produit du spodumène en Abitibi-Témiscamingue, est au cœur d’une révision de ses dépenses pour « assurer la viabilité financière » de son complexe à La Corne.

Reste à voir si la vigueur du prix de la tonne de phosphate permettra aux promoteurs de projets d’avoir moins de fil à retordre.

En savoir plus
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    Principal minerai pour le phosphate, l’apatite fait partie des six ajouts à la liste des minéraux critiques et stratégiques désormais considérés par Québec.
    Source : gouvernement du Québec