Cette semaine, Nathalie Le Prohon, présidente d’IBM Québec Technologies, répond à nos questions sur le leadership

Depuis un an, les entreprises de technologies comme Amazon, Google et Microsoft ont réduit leurs effectifs. Que se passe-t-il ?

Du côté d’IBM, il y a eu des annonces de coupes, mais notre directeur des systèmes d’information (CIO) est très clair : la population totale demeurera la même. On a une redéfinition de tâches qui nous permet d’automatiser certaines des fonctions. On a mis l’intelligence artificielle (IA) générative en soutien à toutes nos ressources humaines. On a donc pu être plus performants dans le soutien de nos employés et de nos directeurs, comme moi-même, et ainsi être capables de réduire nos équipes de ressources humaines. L’idée n’est pas de désinvestir, mais de réinvestir dans le développement de logiciels ou autres. Ça, c’est la situation chez IBM. Pour ce qui est des autres entreprises, mon opinion, c’est qu’on va voir la même chose ailleurs. Il va y avoir certaines coupes lorsqu’une entreprise s’automatise et utilise ses propres technologies pour être plus performante. En contrepartie, le côté affaires est en croissance. Je crois qu’il va y avoir d’autres investissements qui vont compenser certaines de ces coupes. Je suis très positive face au secteur des technologies. Il y a peut-être un petit réajustement qui se fait, mais on est dans un secteur qui est clairement en croissance.

Est-ce que vous croyez que l’intelligence artificielle aura un impact sur la parité hommes-femmes dans l’industrie de la technologie ?

Je l’espère et je le crois. La parité dépend de deux choses. Ça prend des femmes à l’embauche, des femmes qui veulent venir travailler en technologie. Puis, il faut qu’il y ait des entreprises qui focalisent sur la diversité et l’inclusion, qui s’assurent que les femmes puissent bien réussir et qui ont un bon nombre de femmes à l’exécutif. Le défi que nous avons, c’est à l’embauche. Je pense que les technologies et notamment l’IA peuvent venir faire une différence. Nos jeunes sont très compétents dans les technologies. Les filles voient comment l’IA peut influencer leur travail, changer leur communauté, modifier le monde des affaires. Elles seront donc plus intéressées par ce secteur-là que celles qui sont actuellement sur le marché du travail. C’est vraiment à l’entrée qu’il faut se concentrer, parce qu’on n’est vraiment pas à parité.

Que faut-il faire pour attirer les femmes en technologie ?

On voit encore beaucoup de modèles d’hommes qui ont réussi en technologie. Ça prend plus de modèles de femmes. On doit les rendre plus visibles. Il faut aussi démocratiser toutes les portions de la technologie. On a encore l’impression que c’est un emploi très technique. Oui, il faut avoir une passion de la technologie, le goût d’apprendre, parce que c’est un domaine toujours en changement. Mais aujourd’hui, avec l’IA, on se rapproche du domaine des affaires. Travailler en technologie, ce n’est pas juste du codage. Les nouveaux rôles ne sont pas du pur codage en Java. On a des gens qui travaillent auprès des équipes affaires clients. Ils vont trouver des solutions, par exemple, pour un client qui cherche à améliorer son service à la clientèle de façon automatisée avec l’IA. Ça prend des femmes qui ont le goût de résoudre un problème d’affaires en utilisant la technologie. Il y a encore du codage, mais beaucoup moins qu’avant, et l’IA générative rend ça beaucoup plus facile.

Selon vous, que peut-on faire pour intégrer l’intelligence artificielle dans les entreprises de manière responsable ?

Premièrement, il faut donner beaucoup de formation. Les entreprises doivent former les employés sur les potentiels de la technologie, mais aussi sur les risques. Quand certains outils sont sortis publiquement, il y a eu un laisser-aller dans les entreprises. Or, rapidement, elles ont dit : on ne peut pas utiliser ces outils créés pour un très large public au sein d’une entreprise qui a des données confidentielles. Deuxièmement, ça prend des processus pour gouverner l’utilisation de l’IA. Il faut l’utiliser de façon responsable, à bon escient, la gérer pour s’assurer qu’elle continue de bien faire ce qu’elle a à faire, s’assurer qu’il n’y ait pas de biais ou de mauvaises intentions qui s’insèrent. Il faut aussi vérifier si elle est explicable. Si quelqu’un veut savoir comment l’IA arrive à un tel résultat. Ça prend donc une saine gouvernance autour des modèles. Troisièmement, ça prend une bonne sécurisation et une bonne gestion des données, parce que ces modèles utilisent des données qui peuvent être sensibles, et on ne veut pas être exposés à des menaces.