(Ottawa) Contre toute attente, les conservateurs ont voté pour le projet de loi anti-briseurs de grève mardi qui vise à interdire le recours aux travailleurs de remplacement dans les industries réglementées par le fédéral. L’ensemble des députés de la Chambre des communes l’a appuyé. « Une mauvaise nouvelle » pour le pays, selon la Chambre de commerce du Canada.

Le projet de loi issu de l’entente entre les libéraux et les néo-démocrates a ainsi passé l’étape de la deuxième lecture. Plusieurs néo-démocrates ont levé le poing en signe de victoire lorsqu’ils se sont levés pour voter en chambre, dont Alexandre Boulerice, qui était au cœur des négociations avec les libéraux sur son contenu.

« On a forcé le gouvernement à présenter un projet de loi », s’est empressé de rappeler le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, après le vote.

« Dans le passé, les libéraux ont voté contre un projet de loi anti-briseurs de grève plusieurs fois. Les conservateurs aussi ont voté contre un projet de loi anti-briseurs de grève plusieurs fois. Donc, c’est vraiment grâce à nos efforts et l’effort des syndicats en général qu’on est dans cette situation aujourd’hui. »

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jagmeet Singh

Les conservateurs avaient laissé planer le suspense sur la position qu’ils allaient adopter lors des débats. Ils critiquent également fréquemment ce qu’ils nomment « la coalition NPD-libérale » qui permet au premier ministre Justin Trudeau de gouverner comme s’il formait un gouvernement majoritaire. Leur chef Pierre Poilievre courtise toutefois le vote des travailleurs dans certaines circonscriptions, notamment dans le nord de l’Ontario.

« Je prends ça comme un très bon signe, a réagi le ministre du Travail, Seamus O’Regan. Nous sommes à mi-chemin d’un changement monumental dans les relations de travail dans ce pays et dans les droits des travailleurs de ce pays. »

Le Bloc québécois réclame une telle loi depuis des décennies. Le parti avait déposé un projet de loi anti-briseurs de grève à chaque législature depuis 1990.

Le projet de loi C-58 devra maintenant être étudié en comité parlementaire, où il pourrait être amendé. Les conservateurs n’ont pas commenté leur vote publiquement, mais indiquent en coulisse qu’il reste des zones grises et beaucoup de questions à soulever.

« Ce vote est une mauvaise nouvelle pour le Canada, les familles canadiennes et les travailleurs canadiens », a réagi le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada, Perrin Beatty.

Il estime qu’une loi anti-briseurs de grève risque plutôt d’allonger la durée des conflits de travail et de multiplier leur fréquence en favorisant la partie syndicale au détriment de la partie patronale. Il craint que cela ajoute au problème de productivité au pays et nuise à la réputation du Canada à l’échelle internationale.

« Si ce projet de loi devient loi, la prochaine fois qu’une grève entraînera l’arrêt des transports ferroviaires ou aériens, des services cellulaires ou des paiements par carte de crédit, ou des opérations portuaires qui maintiennent les produits sur les étagères et les produits frais dans les épiceries, les coûts pour tous les Canadiens seront plus élevés – tout ça à cause de la décision des politiciens de faire passer la politique avant les meilleurs intérêts des Canadiens », a-t-il ajouté dans une déclaration écrite.

Le projet de loi C-58 est l’une des demandes les plus importantes de l’entente entre les libéraux et les néo-démocrates. Il s’agissait également d’une promesse électorale des libéraux. Les deux partis ont négocié pendant plus d’un an.

Pour la présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Magali Picard, il s’agit d’une « avancée majeure pour la solidarité syndicale » et « un jalon historique pour la justice sociale ».

« Les parlementaires reconnaissent enfin l’importance vitale de sauvegarder l’équilibre du rapport de force entre les travailleuses et travailleurs et les employeurs », a-t-elle souligné.

Les syndicats ont salué cette avancée historique lorsqu’il a été déposé en novembre. S’il est adopté, le projet de loi empêchera un employeur de recourir à des contractuels ou à des employés pour franchir la ligne de piquetage lors d’un conflit de travail. Le gouvernement fédéral rattraperait ainsi un retard de 46 ans sur le Québec.

Selon Unifor, la durée moyenne d’un conflit de travail lorsqu’un employeur fait appel à des briseurs de grève est de 265 jours, contre 42 jours lorsqu’on n’y a pas recours.