À la fin de février, une capsule de la firme californienne Varda Space Industries a atterri en Utah après huit mois en orbite. À son bord : des cristaux de l’antiviral Ritonavir fabriqués en orbite.

La capsule de Varda marque une nouvelle étape dans l’exploitation de l’espace. La possibilité d’utiliser l’apesanteur pour fabriquer des matériaux inédits est envisagée depuis plus d’un demi-siècle. Mais jusqu’à maintenant, aucune entreprise n’avait de plateforme autonome spécifique pour cette nouvelle industrie.

« Tant que les coûts d’accès à l’espace ont été élevés, il ne pouvait y avoir que des tests de fabrication de matériaux en apesanteur », explique Eric Lasker, directeur des finances de Varda, en entrevue téléphonique. « Mais avec SpaceX, les coûts ont diminué par un facteur de 100. Nous avons pensé qu’on pourrait faire la même chose pour les coûts liés au retour des échantillons sur Terre et avoir une proposition d’affaires qui tient la route. »

Pour le moment, il en coûte 3000 $ US pour amener un kilogramme en orbite, et 50 000 $ US pour ramener un kilogramme de l’espace jusqu’au plancher des vaches, selon M. Lasker.

Varda, qui a été lancée en 2020, compte d’ailleurs parmi ses fondateurs d’anciens employés de SpaceX. Deux ou trois autres lancements sont prévus cette année. En orbite, la capsule d’un mètre de diamètre est liée à un satellite-usine. Elle peut emmagasiner entre 40 et 50 kg de matériaux.

Le premier marché visé est pharmaceutique. « Les médicaments peuvent être vendus très cher, alors ça vaut la peine pour une compagnie pharmaceutique de payer pour bénéficier des conditions différentes de cristallisation et de solubilité, entre autres, en orbite, dit M. Lasker. A priori, pour un médicament très dispendieux, la production en série pourrait se faire sur nos capsules en orbite. »

L’autre avantage de Varda, par rapport aux autres entreprises de fabrication de matériaux en orbite (Redwire et Nanoracks notamment), c’est que ces dernières doivent attendre qu’il y ait de la place dans des vaisseaux-cargos jusqu’à la Station spatiale internationale (SSI). « Ça prend entre 12 et 18 mois d’attente pour aller à la SSI, dit M. Lasker. Nous visons avoir moitié moins d’attente, peut-être encore moins si nous parvenons à avoir des autorisations fréquentes d’atterrissage. » Le retour de la première capsule de Varda a été retardé par l’obtention d’une autorisation des autorités aérospatiales américaines (FAA), au point qu’un atterrissage en Australie a même été envisagé.

Le calcul financier d’une expérience de fabrication spatiale sur la SSI est un peu différent des simples coûts de lancement de matériel en orbite, car le coût par kilogramme d’une mission d’un vaisseau-cargo approche 25 000 $ US, selon les contrats de la NASA.

Stations spatiales privées

M. Lasker n’a pas non plus peur de la concurrence des stations spatiales privées envisagées d’ici 2030, notamment par la firme texane Axiom, qui a déjà envoyé trois missions d’astronautes sur la SSI. « Les vaisseaux-cargos sont généralement les mêmes plateformes que les capsules habitées. Leur coût par kilogramme est plus élevé à cause du niveau de sécurité plus élevé des missions habitées et des coûts des systèmes de maintien de la vie. »

N’y a-t-il pas un avantage à avoir des humains pour faire les manipulations, particulièrement à l’étape de la recherche et du développement ? « Dans certains cas, mais on doit aussi avoir des procédures spéciales pour les matériaux toxiques », dit M. Lasker.

Mais Eric Kulu, un ingénieur aérospatial estonien qui gère une base de données sur la fabrication de matériaux en orbite et une autre sur les nanosatellites, en est moins sûr. « Si on peut réutiliser à chaque fois les instruments de fabrication de matériaux, parce qu’ils sont dans une station spatiale, ça réduit les coûts », dit M. Kulu.

La première expérience de fabrication de matériaux en orbite – de la fabrication de cristaux d’argent – a été menée en 1973 sur la station spatiale américaine Skylab. Des dommages lors du lancement ont limité la vie de Skylab à six mois, mais les promesses de l’industrie spatiale ont donné naissance en 1975 à des conférences bisannuelles de « space manufacturing » à l’Université Princeton, qui se sont poursuivies jusqu’en 2001.

La base de données de M. Kulu recense plus d’une centaine d’expériences de fabrication de matériaux dans l’espace depuis 2018. Plus d’une vingtaine d’entreprises ont été créées dans ce domaine depuis une quinzaine d’années. La NASA, quant à elle, recense 3000 expériences de fabrication de matériaux sur la SSI depuis 2001. Des compagnies pharmaceutiques ont même inclus des expériences sur la SSI dans des demandes d’autorisation de médicaments, selon un article de 2022 de Chemical & Engineering News.

Regardez la descente de la capsule de Varda
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  • 53 millions US
    Capital de risque investi dans Varda
    Source : Varda Space Industries